la feuille volante

Quand Dieu boxait en amateur

La Feuille Volante n° 1309

 

Quand Dieu boxait en amateurGuy Boley – Bernard Grasset.

 

C'est souvent le cas pour un écrivain, le décès d'un proche est, par l'émotion qu'il suscite, par la naissance du besoin qu'il y a de mettre des mots sur le parcours de celui que la vie vient d'abandonner, par la nécessité d'être le complice de la trace que malgré lui il laissera, l'occasion de confier à la feuille blanche une somme de souvenirs diffus et confus au début, mais qui, avec le temps, s'organisent presque d'eux-mêmes. C'est en tout cas une action contre l'oubli qui est le propre de l'espèce humaine. Cet hommage de la mémoire se porte ici, pour l'auteur, sur son père, René Boley. C'est souvent une figure tutélaire, un exemple pour un fils qui, après un parcours cahoteux et surtout protéiforme, devient romancier et choisit de relater tout ce que son existence et parfois celle des autres lui ont apporté de richesses intérieures et d'échecs. C'est, dans l'Est rural de la France, la jeunesse de cet homme qui est d'abord évoquée, une vie d'orphelin, avec une mère pauvre et revêche, qu'un précoce veuvage a rendu acariâtre et méchante, pour qui le travail seul compte et qui se méfie des livres. C'est un garçon qui n'a pas pu faire d'études, mais qui est pourtant amoureux des mots et des livres et qui est vite confronté au travail manuel et à la boxe, pour l'endurcir et le préparer aux futurs épreuves de l'existence.

 

Comme cela arrive souvent, René rencontre Pierrot, aussi timide, malingre et intellectuel qu'il est fort et bricoleur, une authentique amitié que les livres souderont. Pour Pierre ce sera la Bible en passant par toutes les mythologies, alors que René aura une fasciation pour les mots inusités et rares du Dictionnaire Larousse ! L'un deviendra forgeron et l'autre prêtre ! L'âge adulte les réunira mais pas la religion qui sera toute la vie de Pierrot que son ami, même s'il continue à le tutoyer, ne pourra plus nommer désormais que « Père Abbé », à cause de la fonction, de la soutane ou de je ne sais quelle raison ! René pratiquera la boxe au point de devenir champion de France dans la catégorie amateur mais ne goûtera du catholicisme ni les rites ni les pompes, découvrira l 'opérette mais surtout le théâtre, ce qui couronnera cette histoire d'amitié et donnera tout son sens à ce titre de roman quelque peu abscons. Le temps passe et les temps changent et même si René n'entend rien au christianisme, c'est pourtant Pierrot qui va lui offrir un rôle de vedette, une sorte de carrière de comédien local, certes amateur, quand, jusque là, on ne lui avait offert que des rôles obscurs ou de figuration. Mais le personnage qu'il doit incarner ne souffre pas la médiocrité et sa force physique, sa beauté, sa notoriété de boxeur ne sauraient tenir lieu de talent. Être bon sur un ring ou dans une forge n'implique pas de l'être sur les planches ! A force de travail, de répétitions, il finira par habiter le personnage, par littéralement l'incarner.

 

Jusqu'à ce moment du roman, fortement inspiré par la biographie de cet homme, j'avais trouvé les choses intéressantes, non seulement par son parcours mais aussi par la façon qu'à l'auteur de le raconter. Il y a les épreuves, les résiliences, les déchéances, les abandons, les démissions, rien que de très normal après tout puisque, contrairement à ce qu'on nous dit, cette vie n'est pas si belle, Il faut que chacun se réalise, tente sa chance, fasse son parcours, comme on dit et les enfants qu'on a ne sont pas destinés à nous appartenir. J'ai eu le sentiment que l'auteur a écrit ce roman non comme un acte de mémoire comme il semble vouloir le dire au début, mais comme un véritable acte de contrition laïc et surtout éminemment personnel, s'excusant face au vide du néant où vont tous les morts, de tout ce qu'il n'avait pas su faire ou su dire du vivant de ce père, de tout ce qu'il a pu faire contre lui. On ressemble toujours à quelqu'un, à un géniteur proche ou à un lointain ancêtre, la roulette de la génétique a des initiatives parfois étonnantes ! J'ai fini par me dire que l'auteur, en choisissant de rendre hommage à son père, voulait finalement parler de lui, de sa lente descente vers l'alcool, expliquant que la déchéance de René, pas forcément due uniquement à l'âge, était un peu la sienne, comme s'il se livrait ici à une confession intime à l'absolution hasardeuse. L'écriture a-t-elle ce pouvoir ? Je n'en suis pas bien sûr et même si Guy Bolet puise dans cette histoire finalement authentiquement émouvante la matière d'un roman, s'il souhaite exorciser avec les mots si fascinants pour René des erreurs, des douleurs et des malheurs, c'est aussi un peu pour lui qu'il le fait

 

C'est écrit dans un style spontané, presque populaire, avec cependant des moments émouvants et même poétiques, surtout dans ses évocations et descriptions, avec un sens de la formule où se mêlent, l'air de rien, l'humour, le dérisoire, la sensibilité, l'irrévérence et la tendresse, une façon d'écrire qui à la fois fascine par son côté simple et impertinent, mais qu'on a tendance à rejeter parce que, instinctivement, et sans peut être se l'avouer ni savoir pourquoi, on attend autre chose d'un écrivain.

C'est le hasard d'une bibliothèque qui m'a fait connaître cet auteur. Alors, pour les mots, pour les images, pour le ton et la démarche d'écriture, oui, j'ai bien aimé ce livre.

©Hervé GAUTIER – Janvier 2019.http://hervegautier.e-monsite.com

 
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