la feuille volante

Italo Svevo

  • le vin du salut

    N° 1550– Juin 2021.

     

    Le vin du salut – Italo Svevo – Mille et une nuit.

     

    C'est un petit recueil d'une nouvelle, un peu comme les histoires qu'Italo Svevo (1861-1928) avait l'habitude de raconter à sa fille.

    Ce texte fait une allusion assez marquée aux fiançailles qui étaient, à son époque, un moment important dans la vie d'un homme et d'un couple. C'était un rituel de l'univers bourgeois dans lequel il vivait depuis son enfance et dans ce contexte, le contrat a une grande place puisqu'il régit bien souvent les diverses relations qui ont cours dans ce milieu. Si on en croit un de ses biographes, Svevo lui-même a vu ses propres fiançailles allongées par sa future belle-mère au seul motif que sa famille et lui-même n’apportaient pas les garanties suffisantes à l'union prévue.

     

    Le thème en est cependant le songe avec toute sa charge surréaliste. Ce texte a d'ailleurs eu pour titre initial "Ombres nocturnes" et met en scène un vieillard qui s'enivre et bouscule les règles bourgeoises et on retrouvera le thème du vin dans "la conscience de Zeno" qui est le chef d’œuvre de Svevo. Ici, dans le cadre de ces fiançailles, le vin torpille littéralement cette cérémonie mais cette nouvelle se termine d'une manière assez étrange, après le repas, les protagonistes se retrouvent dans une grotte obscure où la seule source de lumière est une caisse de verre. Celui qui avait ainsi perturbé cette cérémonie familiale doit y être enfermé comme dans un lieu expiatoire, mais trouve son salut en offrant sa fille. Sel de réveil vient mettre un terme à tout ce délire.

     

    J'y ai lu un texte plein de non-dits, dédiés aux choses ressenties par un auteur qui souhaite les garder pour lui, comme un court roman introspectif de quelqu’un qui souhaite se libérer par l'écriture. J'y ai surtout lu une grande solitude.

  • le destin des souvenirs

    N°1549

    Le destin des souvenirs et autres nouvelles.- Italo Svevo – Rivages.

    Traduit de l’italien par Soula Aghion.

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    Ce sont des nouvelles, pour la plupart autobiographiques qui évoquent Trieste et Venise. Ce Il s’agit d’une œuvre posthume généralement composée de textes courts pleins de nostalgie, dont certains sont inachevés. Ce n’était certes pas l’intention initiale de l’auteur que de publier des textes non terminés puisque ces derniers ont été collationnés après sa mort puis édités mais cela est soit l’occasion de solliciter l’imagination du lecteur, soit de le laisser sur sa faim !  Ils témoignent de ses obsessions, c’est un travail sur la mémoire personnelle de l’auteur, de son enfance, de sa vie d’homme d’affaires.

     

    L’auteur, de son vrai nom Ettore Schmitz, né en 1861 à Trieste est mort en 1928 des suites d’un accident de la route à Motta di Livenza. Il a passé toute sa vie dans des emplois sédentaires de bureau tout en tentant vainement de se faire publier. Ses rares publications à compte d’auteur, dont notamment son premier roman « Une vie » (1892), puis « Sénilità » (1898) furent pratiquement ignorés de la critique. Quant à « La conscience de Zeno » (1923), son chef-d’œuvre qui lui permis de se faire connaître avec succès, il ne parut qu’après un long silence de vingt années. Il est également l’auteur de pièces de théâtre et de recueils de nouvelles. Il ne fut connu que vers la fin de sa vie mais est actuellement considéré comme un auteur majeur et ses œuvres sont traduites dans le monde entier.

     

    Il a été l’ami de Joyce et lui aurait inspiré le personnage de Léopold Bloom dans « Ulysse » , de Freud dont il reconnaît une certaine influence. Valery Larbaud, Benjamin Crémieux et Eugenio Montale ont contribué à le révéler au grand public. Italo Svevo est lui-même une sorte de paradoxe. Né à Trieste quand cette ville était encore autrichienne (elle redeviendra italienne en 1918), il était patriote italien de cœur et parlait cette langue qui était celle de sa mère. De culture allemande par son père, il choisit un pseudonyme (qui signifie « Italien Souabe ») qui atteste cette dualité littéraire. De plus, il était de confession juive mais son mariage fit de lui un catholique, bien que son œuvre ne marque aucune référence religieuse.

     

  • Un mari

    N° 1547– mai 2021.

     

    Un mari – Italo Svevo – Éditions de l’imprimerie Nationale.

    Traduit de l’italien par Ginette Herry.

     

    Il s’agit d’une pièce de théâtre qui met en scène Frédérico Arcetri, avocat d’affaires, marié à Bice. Dans son bureau il y a le portrait d’une femme, Clara, sa première épouse qu’il a assassinée parce qu’elle l’a trompé, mais l’avocat a été acquitté pour cet uxoricide (on ne disait pas encore féminicide). C’était en effet l’époque où les tribunaux pardonnaient les crimes passionnels. Brice connaît cette histoire et respecte son mari autant pour sa valeur professionnelle que pour son attitude dans cet affaire d’adultère. Elle le considère comme un héro pour ce qu’il est et pour ce qu’il a fait en même temps qu’elle accepte ce portait comme la marque que l’amour que porte encore Frédérico à l’épouse qu’il a tuée. Les choses auraient pu demeurer ainsi longtemps mais c’est sans compter sans son ex-belle mère, Arianna Pareti, qui révèle à Francisco que Paolo Mansi, un ami du couple est aussi l’amant de Brice. Les choses se corsent quand on demande à Francisco, en dehors de sa sphère de compétence, de défendre un homme coupable d’avoir occis son épouse, elle aussi convaincue d’adultère. C’est donc pour lui une situation cornélienne qui est la sienne entre les soupçons qu’il nourrit au sujet de son actuelle épouse et la défense qu’il doit assurer dans une affaire qui ressemble étrangement à celle qu’il a connue lors de son premier mariage. De plus il entretient avec son ex-belle-mère des sentiments quasi-maternels alors que cette dernière le hait et cet épisode de sa vie le remet face à lui-même, à ses contradictions, à ses peurs et à son destin.

     

     

    La pièce, une comédie en trois actes, a été un long travail d’écriture (de 1895 à 1903) n’a paru que trois ans après sa mort, en 1931, dans un revue milanaise. Elle a été montée pour la première fois en Italie en 1982 à Vérone et en France en 1991. En réalité je ne suis pas bien sûr qu’il s’agit d’une comédie, même si l’épilogue y ressemble un peu et que la trahison de Brice n’est pas vraiment avérée. Certes, cette situation évoque d’emblée une pièce de boulevard qui a fait les beaux jours de Feydeau ou de Labiche mais en réalité j’y verrais plutôt un drame vécu par Francisco qui se débat dans une réalité personnelle difficile avec les doutes qu’il nourrit à l’endroit de son épouse et la défense qu’il doit assurer et qui lui rappelle un peu trop son passé intime. Viennent s’ajouter le pardon impossible et l’envie de nuire comme une vengeance.

     

    Je ne connaissais pas Italo Svevo (1861-1928 – ce qui signifie « Italien souabe »), de son vrai nom Ettore Schmitz auteur né à Trieste. Il est l’héritier d’une double culture italienne et rhénane mais aussi de confession juive par sa naissance et catholique par son mariage. Il a souvent fait éditer ses œuvres (pièces de théâtre, nouvelles) à son propre compte où, restées dans ses tiroirs, n’ont été publiées qu’à titre posthume eu égard à ses vaines recherches d’un éditeur. Autant dire qu’Il n’a jamais vraiment connu le succès de son vivant. Il a été l’ami, Freud et de Joyce, de Valéry Larbaud  et de Benjamin Crémieux qui ont contribué à le faire connaître en France.