la feuille volante

Les soldats de Salamine

N°1656- Juillet 2022

 

Les Soldats de Salamine– Javier Cercas – Actes sud.

Traduit de l’espagnol par Élisabeth Beyer et Aleksandar Grujičič.

 

Le titre du roman fait allusion à la victoire de la flotte grecque sur les navires perses beaucoup plus nombreux, en 480 av J-C . Ce récit traite bien d’une guerre (ou d’un épisode de celle-ci), mais elle est plus contemporaine. Il s’ouvre en effet sur l’exécution manquée de l’écrivain-poète-journaliste espagnol Rafael Sanchez Mazas (1894-1966), un des fondateurs de la Phalange, par les Républicains vaincus qui fuyaient. Il eut en effet la chance d’être épargné par les balles du peloton et se cacha dans la forêt. Retrouvé par un milicien, ce dernier déclara à ses chefs n’avoir rien vu et lui sauva donc volontairement la vie. Ce genre d’épisode romanesque existe sans doute dans tous les conflits mais Mazas s’en est fait l’écho au point d’en faire une sorte de légende, voire une supercherie, savamment entretenue par lui-même de son vivant puis après sa mort par sa famille.

Javier Cercas entreprend d’écrire cette histoire à partir de cette anecdote et auparavant d’en vérifier son authenticité à travers différents témoignages disponibles mais cette recherche le transforme rapidement en biographe de Sanchez Mazas, c’est à dire ses origines familiales, son parcours littéraire et politique à l’intérieur de la Phalange, mais il ne s’interdit pas, devant les lacunes des documents à sa disposition et la confusion qui baigna cette période troublée, mais aussi face à l’insolente chance de Mazas, d’imaginer ce qu’il ne sait pas. Ainsi mêle-t-il dans son récit l’imaginaire du romancier à la précision de l’archiviste. La fin de vie de Mazas fut moins glorieuse, plus indolente et égoïste, davantage consacrée à la politique qu’à la littérature, plus mélancolique et désabusée aussi et l’oubli acheva de recouvrir les quelques traces qu’il laissa de son passage sur terre. Restait pour l’écrivain qu’est Javier Cercas, et surtout pour conclure son livre, à identifier le milicien anonyme qui sauva Mazas, ou à l’inventer. Il n’y avait à priori rien de commun entre eux et même toutes les raisons pour que cet homme le dénonce ou le tue, les troupes républicaines étant à l’agonie. .

Dès lors quel est le lien entre Mazas et les soldats de Salamine ? Mazas aurait eu l’intention de relater cette histoire d’exécution manquée et de donner ce titre à son récit, titre qui a été repris par Cercas pour le sien. Écrire un livre est toujours une aventure et comme beaucoup d’écrivains Cercas fut victime de son livre c’est à dire de la propre vie de ce dernier, de son indépendance, de sa liberté, à moins qu’il n’ait lui-même et inconsciemment manqué son but. Bref il était déçu de son travail . Il n’avait pour ce récit que la version nationaliste de Mazas, il considérait donc qu’il lui fallait pour être complet la version républicaine mais il voulait surtout mettre un visage, et peut-être un nom sur le fantôme de ce milicien. Le hasard voulut qu’il rencontra un survivant républicain de la Guerre Civile avec qui il évoqua ses derniers moments dans l’armée républicaine, sa fuite vers la France et le camp d’Argelès, son engagement dans la division Leclerc, sa folle équipée africaine puis française et l’imagination créatrice de Cercas ne put s’empêcher de relier à l’aventure de Mazas à celle de ce milicien anonyme qui lui sauva la vie.

 

Je voudrais en aparté évoquer le sort de ces républicains contre qui la France n’était pas en guerre mais qui les accueillit d’une façon honteuse, bien indigne du pays des droits de l’homme et de la liberté qu’elle est censée être. Dans le camp d’Argelès comme dans bien d’autres, des êtres humains sont morts faute de soins et même des plus élémentaires actes de simple humanité. Après avoir été connu l’opprobre de la défaite ils eurent à souffrir des exactions injustifiées des troupes coloniales françaises. Ils ne nous en voulurent cependant pas puisque les survivants s’engagèrent dans la légion étrangère pour combattre le nazisme. Faut-il rappeler que les premiers militaires à libérer Paris furent ceux de la 2°DB de Leclerc et plus précisément la compagnie du capitaine Dronne, « La Nueve », composée principalement … de républicains espagnols qu’on choisit d’ailleurs d’oublier une seconde fois en ne les citant pas parmi les troupes libératrices.

Je me suis très tôt passionné pour cette guerre d’Espagne mais je n’ai abordé l’œuvre de de Javier Cercas dont j’ignorais l’existence, qu’à la faveur d’un prêt amical de livre (« Terra Alta »). Je n’ai pas été déçu par ce que j’ai lu et je dois avouer que lorsque j’ouvre un de ses livres, j’ai beaucoup de mal à m’en détacher à cause du style clair (servi sans doute par une bonne traduction) et ce malgré quelques longueurs que je lui pardonne volontiers. L’intérêt qu’il a suscité m’a incité à poursuivre la découverte de son univers créatif et ce d’autant plus que j’ai ai apprécié cette invitation à réfléchir sur la dimension morale et philosophique du récit offert à la lecture. J’ai par exemple toujours été scandalisé qu’on oublie le sacrifice de quidams, souvent des étrangers, qui sont morts pour que les générations suivantes d’un pays qui n’était pas le leur soient libres et parlent le français et qu’on ne retiennent, le plus souvent, que les noms des dirigeants emblématiques.

Ce roman a été adapté au cinéma en 2003 par David Trueba.

 

En Espagne, sous la dictature de Franco, le souvenir de la guerre civile a été complètement occulté. Sous le régime suivant, plus démocratique, on a cherché à oublier toutes ces atrocités. Ce n’est que lors de la génération suivante, qui n’a évidemment pas connu ce conflit, que les jeunes écrivains espagnols s’en sont emparés, se le sont même approprié et l’ont intégré à leur œuvre, comme pour en exorciser toutes les horreurs. Javier Cercas, né en 1962 est de ceux-là. Je vais poursuivre la découverte de son œuvre.

 

 

 
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