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la feuille volante

LE FRONT RUSSE – Jean-Claude Lalumière

 

 

N°508 – Février 2011.

LE FRONT RUSSE – Jean-Claude Lalumière – Le Dillettante .

 

L'auteur d'abord qui est aussi le narrateur. Il se nomme Lalumière, un nom qu'on imagine davantage être celui d'un personnage de roman et qui se prête évidemment au calembour facile. Il y a aussi une histoire, celle d'un enfant unique d'une famille bourgeoise et provinciale aimant à la fois l'ordre, le profit, la réussite sociale, le paraître et ayant la phobie de l'imprévu et de l'homosexualité. «  Eh oui, petit, tout cela c'est pour ton bien et tu me remercieras plus tard ! » [air connu].

Pour un malheureux bambin qui ne pense qu'à l'évasion, au voyage et à la liberté, c'est plutôt mal parti !

 

Bref, après une enfance trop vite passée et peut-être aussi quelque peu perturbée, il faut songer à entrer dans la vie active. Pour lui, les Affaires Étrangères, cela sonne plutôt bien et puis cela correspond à ses rêves d'atlas, ses fantasmes de terres lointaines et ses mirages de missions ultramarines... Réussir un concours c'est bien, mais si on est reçu dans les derniers, il vaut mieux faire une croix sur ses espoirs de nomination prestigieuse, ses idées reçues et faire une place au désenchantement voire à l'abandon de ses illusions, se faire au gris dominant de la Fonction Publique qui n'affecte pas seulement le décor vestimentaire, renoncer définitivement aux ors de la République et aux décors d'huissiers à chaine que la fonction avait pu, un temps, lui faire miroiter. Il ne sera pas nommé au « Quai d'Orsay » mais dans un sombre bureau de la banlieue coincé entre une bretelle d'autoroute et une voie de chemin de fer ! Et comme une mauvaise nouvelle n'arrive jamais seule, on l'affecte à l'antenne du ministère qui a en charge les « Pays en voie de création - section Europe de l'Est et Sibérie », que le jargon administratif appelle « le Front russe », euphémisme qui désigne un service où personne ne veut aller, où rien ne se passe, où le moindre chose prend soudain des allures de révolution... Bref une version bureaucratique mais bien réelle du « goulag » ! Pour un jeune homme plein d'illusions et surtout d'ambition, c'est un départ un peu compromis. Il déchante d'ailleurs très vite : [« J'avais l'impression d'être seul, on ne peut plus seul »] se dit-il, réaliste. Même un voyage professionnel ne parvient pas à assouvir ses rêves de dépaysement [« j'avais l'impression d'être loin sans être ailleurs. Ma frustration était immense » ] note-t-il, un tantinet blasé.

 

Si le monde du travail est sans pitié, il est aussi plein d'enseignements. Là il rencontre des gens improbables, Boutineau, le chef de Section qui affectionne le parler et les usages militaires, à la fois atypique et inconscient, voire incompétent, mais aussi de femmes dont la présence dans un bureau est une bénédiction, mais en apparence seulement ! C'est Aline, [« Elle portait un maquillage juste assez marqué pour attirer l'œil plein de convoitise de l'homme en mal de tendresse sans atteindre l'outrancière vulgarité qui aurait suscité des pensées inavouables chez ce même homme, voir un sifflement d'admiration. »]. Elle sera pour lui une maîtresse éphémère, qui se révèlera rancunière, jalouse et même méchante au point que les vacances en sa compagnie deviennent une épreuve [« Je vis venir la fin des vacances avec la lenteur d'un courrier transmis par la voie hiérarchique »]. Elle est, à n'en pas douter, promise assurément à un avenir de vieille fille ! C'est aussi Arlette [« Elle avait un air blafard et valétudinaire sous des cheveux mi-longs et filasses qui n'étaient pas sans rappeler un balai espagnol retourné, des lunettes rondes dont les verres très larges, trop sans doute, étaient légèrement fumés et dissimulait ses cernes ainsi que, tel un accessoires de carnaval, un bon tiers de son visage. »] aux accoutrements couturiers personnels et incertains ... et quelques autres qu'on a aussi mis au placard.

 

Il ne tarde pas à s'apercevoir du rythme de travail dans cette unité administrative un peu oubliée, de son côté parcellaire voire inutile, des redondances, des décisions prises mais jamais appliquées, du respect aveugle voire flagorneur due à une hiérarchie tatillonne et consciente de son importance, des coutumes qui y sont en usage, des hypocrisies et des tabous qu'il faut respecter... [« Rire avec modération à la blague du chef est un précepte à garder à l'esprit si l'on veut survivre en milieu administratif. Il faut toujours rire à la blague du chef. Mais ce rire doit cependant être modéré si on ne veut pas passer pour un lèche-bottes auprès de ses collègues. C'est un dosage difficile, un équilibre malaisé lorsqu'on débute, mais, bien vite, on acquiert ces automatismes. »]. Tout juste débarqué de sa province, il est aussi en butte à la suffisance de ses collègues parisiens qui tiennent leur importance de leur ancienneté dans ce ministère autant du nombre d'années passées dans la capitale, supériorité indéniable et qui ne supporte pas la contestation !

 

Après s'être promis de ne pas y rester toute sa vie, il tentera quelque chose pour donner un nouveau souffle à sa carrière mais c'est sans compter avec les petitesses et les bassesses médiocres et mesquines qui émaillent le quotidien d'un bureau. Il finira par se résigner, par rentrer dans un moule pour lequel il n'était pas fait, à se plier au train-train administratif et à s'en accommoder [« Je vis et il ne se passe rien. »].

 

L'auteur en profite même pour glisser quelques remarques sur la vie en générale. [« J'ai parfois eu l'impression qu'élever un enfant c'était lui transmettre des problèmes qu'il parviendrait peut-être à résoudre un jour, avec un peu de chance. »], et sur l'amour en particulier [« L'expérience de l'amour, c'est aussi l'expérience du néant »]. Ses parents pourtant si attentifs mais bien trop conventionnels à son goût de jeune homme n'échappent à la règle. Malgré sa volonté d'être différent, il s'achemine vers une solitude imposée et égoïste, à cent lieues de ce qu'il imaginait pour lui-même. On peut même penser qu'il finira par leur ressembler !

 

Ce n'est pas pour autant un livre noir, au contraire c'est même une peinture très juste de cet univers quotidien qu'on a du mal à qualifier de moderne. Le narrateur, mélangeant peut-être son isolement personnel à celui de son travail, y voit pour ce qui le concerne une défaite [« L'histoire d'une vie c'est toujours l'histoire d'un échec »].

 

En tout cas, malgré quelques longueurs, j'ai bien aimé son humour doux-amer et de bon aloi, son style jubilatoire, et ce regard mi-désabusé mi-amusé, assurément fataliste, qu'il promène sur ce monde. Avec ce livre qui se lit facilement, j'ai passé un bon moment et j'ai même carrément ri de bon cœur, grâce à une galerie de portraits et des situations à la fois authentiques et burlesques que ni Courteline ni Kafka n'auraient reniées.

 

 

©Hervé GAUTIER – Février 2011.http://hervegautier.e-monsite.com

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 





 

 

 





 


 

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