la feuille volante

FUIR.

N°909– Mai 2015

 

FUIR. Jean-Philippe Toussaint – Les éditions de Minuit.

 

Au début, le lecteur apprend que le narrateur doit se rendre à Shanghai pour le compte de Marie, son ex-amie pour ce qui peut être un transfert d’argent ou le paiement d’une transaction. Dès l’aéroport, il rencontre Zhang Xiangzhy, un chinois énigmatique qui va l'accompagner tout au long de ce roman et plus sûrement le surveiller sans qu'on sache vraiment pourquoi. D'ailleurs il lui offre un téléphone portable d'assez bas de gamme. Il croise aussi un belle chinoise, Li Qi, dont on nous dit qu'elle a sans doute été l'amante de Zhang mais qui n'est pas insensible au charme du narrateur, à moins bien sûr que cela en soit pour renforcer la surveillance que ces deux personnages exercent sur lui. Ainsi, ce qui peut ressembler à une passade se tisse petit à petit entre eux dans un train mais toujours Zhang veille ! Pendant son séjour, il apprend la mort du père de Marie. Arrivés à Pékin, l’hôtel qui les accueille révèle une liaison entre Zhang et Li alors que le narrateur dort seul dans sa chambre ! Tout cela est fort ambigu, d'autant que le narrateur semble invité par Zhang qui se charge de tout mais toujours ce dernier discute les prix, cherche à marchander, ce qui est étonnant compte tenu de l'importance de la somme qui lui a été remise à l'aéroport par le narrateur. En fait, tout au long de ce roman, il y a une atmosphère de mystère (la surveillance constante du narrateur y compris par le biais de la jolie Li Qi, la visite au garage et le départ à moto, la fuite du bowling, à trois sur cette moto, la traversée de lieux divers et surtout assez fantomatiques sans qu'on sache vraiment si la police est à leurs trousses, le vrai contenu du sac que Zhang garde précieusement contre lui notamment pendant cette fuite éperdue, dissimulation dudit sac dans un plafond par Zhang qui ordonne au narrateur de prendre un taxi pour rentrer…). Dans la troisième partie du roman, le narrateur se rend à l'île d'Elbe pour l’enterrement du père de Marie qu'il retrouve sur place. Pour autant, ils ne se parlent pas et il part en plein milieu de la cérémonie, sans raison apparente. Puis elle le cherche, le retrouve et entre eux débute une relation charnelle mais qui s’interrompt très vite comme si cela était devenu impossible entre eux. Tout cela se passe en silence et Marie part nager. Il cherche à la rejoindre, ne la trouve pas et on sent la panique légitime qui l'envahit. Après quelques instant, il la trouve et elle s'effondre dans ses bras, en pleurs.

 

Au-delà de ce résumé un peu fastidieux mais nécessaire dans le cas d'un roman de Jean-Philippe Toussaint tant ils sont toujours assez obscurs et surtout inattendus, j'ai tenté de m'interroger sur ce que je venais de lire. Le voyage est omniprésent dans cette œuvre, ce qui est une fuite comme semble l'indiquer le titre, mais fuir quoi ou qui dans la cadre de ce rythme effréné où tous les moyens de transports possibles sont sollicités ? Est-ce l'image de notre société marquée par ce « mouvement perpétuel » que seule la mort interrompra ou une volonté de l'auteur de ne pas rester en place ? Quelle est la relation entre la Chine et l’île d'Elbe, entre ce transfert d'argent et le décès du père de Marie ? Celle qui est un peu « l'arlésienne » pendant toute la partie « chinoise » du roman révèle sa présence à la fin, mais elle est une sorte « d'apparition » fuyante, pleurante et silencieuse. Que signifie la présence quasi constante du téléphone portable qui accompagne les protagonistes en Chine ? Est-ce l'image de la surveillance continue qu'on entend exercer sur le narrateur et surtout pourquoi ? Quant à lui, il est d'une passivité étonnante que je ne me suis pas expliquée, un peu comme s'il était le spectateur de ce qui lui arrive, mais un spectateur qui se laisse étonnamment diriger sans rien demander. Qui est derrière tout cela ? Marie peut-être, restée en France, mais quel est son véritable rôle dans cette affaire ? Pourquoi cette rupture de rythme entre l'épisode chinois et celui de l’île d’Elbe. Pourquoi Marie oppose-t-elle, comme d'ailleurs dans d'autres romans, des pleurs aux sollicitations du narrateur ? Il y a certes une sorte de souffrance de ces deux êtres, un peu comme si l'absence de l'autre était aussi insupportable que sa présence, comme s'il s'agissait d'une histoire d'amour qui ne pouvait pas finir sans avoir peut-être jamais commencé vraiment.

Ce roman pose effectivement beaucoup de questions qui, pour moi, restent sans réponse. Et pourtant, même si dans celui-ci, les événements relatés peuvent se poursuivre à l’infini, il y a une sorte d'alchimie qui me retient au texte. Non seulement c'est bien écrit, avec des descriptions précises et évocatrices, poétiques même parfois mais malgré moi, j'ai toujours envie d'en savoir plus, sans que je sache vraiment pourquoi. Le livre refermé j'ai donc toujours un sentiment mitigé comme celui qui reste sur sa faim mais aussi en ayant des difficultés à me remémorer ce que je viens de lire, à en comprendre le thème.

 

©Hervé GAUTIER – Mai 2015 - http://hervegautier.e-monsite.com

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