Créer un site internet
la feuille volante

Jean-Yves Laurichesse

  • Retour à Oppedette

    N°1651– Juin 2022

     

    Retour à Oppedette – Jean-Yves Laurichesse - Le temps qu’il fait.

     

    Tout part d’un avis de disparition d’une jeune femme publié dans la presse locale.

    Oppedette est un petit village perdu dans les collines de Haute Provence où le temps semble s’être arrêté. Celle qui en franchit l’entrée le fait au hasard d’une errance amère qui ressemble à une fuite ou à une disparition volontaire, comme une étape vers le bas-pays. Le seul habitant qu’elle rencontre et qui lui offre l’hospitalité est un berger taiseux. Leur choix respectif de la solitude est révélateur et ils ne partagent leur histoire douloureuse qu’avec une grande économie de mots. Leur vie s’organise pourtant sur un mode qu’ils savent temporaire parce que la liberté ou l’incompréhension peut tout briser.

    Ainsi commence ce récit poétique que le narrateur, comme un témoin attentif, fait partager à son lecteur dans des chapitres courts tissés avec une écriture fluide. Le paysage est simple et somptueux, le récit passionnant où se mêlent jusqu’à l’absurde des souvenirs vieux de trente ans et l’imaginaire d’aujourd’hui.

    Si j’en juge par ce que je viens de lire, l’auteur part d’une émotion forte ressentie à la suite de la vision furtive, enfouie dans sa mémoire, de deux personnages et qui renaît au hasard de son quotidien. Il leur prête une tranche de vie où ce souvenir lointain et quelque peu angoissant se mêle à l’irréel. J’ai choisi d’entrer dans cette histoire où la mémoire qui revient a un effet suffisamment prégnant pour motiver cette démarche intime de création qui, tant qu’elle n’est pas satisfaite, trouble celui qui en est l’objet. En effet, le fait de confier à la page blanche les émotions qu’on porte en soi a un effet purgatif auquel il faut satisfaire, sauf à tisser une sorte de malaise intime en soi. J’ai donc poursuivi la lecture de ce qui n’était au départ qu’une anecdote mais qui, au fil des chapitres, à pris une épaisseur où ma curiosité se trouvait mêlée au plaisir de la musique des mots.

    Les gorges profondes et désertes, l’orage et ses éclairs, le paysage simple et grandiose suscitent l’imaginaire avec ce côté sauvage qui engendre et nourrit les légendes mystérieuse et les superstitions et attire ceux qui veulent fuir le monde civilisé. Au fur et à mesure du défilement des pages on fait mal la différence entre la réalité supposée de cette jeune randonneuse énigmatique et l’histoire nécessairement sublimée par l’imagination quelque peu hallucinée de l’auteur, même si des liens se font nécessairement entre passé et présent, entre rêve et réalité, un peu comme si les lieux avaient gardé la mémoire des gestes comme le sol l’empreinte des pas.

    Comme il le fait dans « Les chasseurs dans la neige », l’auteur tente, par son imagination, de percer l’intimité des personnages. Ici, il raconte cette histoire de la jeune randonneuse mais l’inspiration lui fait défaut, à moins que ce ne soit le personnage qui, faisant usage de son libre-arbitre, refuse de se prêter plus longtemps à cette fiction ou souhaite la poursuivre elle-même dans une autre dimension.

    L’épilogue m’intéresse, non pas tant par la chute que par cette référence à René Char et à la foudre dont il est question en filigrane mais aussi par cette interaction entre réalité et fiction où la mémoire s’efface devant l’imaginaire, avec les rencontres et le hasard en contrepoint.

     

  • Les chasseurs dans la neige

    La Feuille Volante n° 1276

    LES CHASSEURS DANS LA NEIGE – Jean-Yves Laurichesse – Ateliers Henry Dougier éditeur,

     

    Je remercie les éditions HD de m'avoir fait parvenir ce roman.

    Tout commence par un coup de cœur d'enfance de Jean-Yves Laurichesse pour un tableau, « Les chasseurs dans la neige » et pour son auteur, le peintre flamand Pieter Bruegel (1525-1569) , dit l'Ancien, par opposition à ses deux fils qui ont, eux aussi, suivi la voie de la peinture. Puis, bien des années plus tard, quand la vie s'est installée, il retrouve intacte cette fascination qui non seulement ne s'est pas altérée, s'est même affermie avec le temps et peut-être a donné pour soi-même l'envie de laisser une trace de son passage sur terre. Naturellement il veut en savoir plus sur l’œuvre et sur l'auteur, sur sa vie et ses passions, alors, comme une sorte de témoin qui se joue du temps, il pénètre dans le tableau ou plus exactement se projette à l'époque de sa conception, inventant les phases et les circonstances de sa création, les rencontres que le peintre aurait pu faire. Il y a ce que la toile représente, une scène figée dans la neige, mais surtout ce que le spectateur ordinaire ne peut voir, et, par l'extraordinaire puissance de l'imagination humaine, Bruegel, par le truchement de Laurichesse, révèle sa présence virtuelle qui peu à peu devient bien réelle. C'est un homme de quarante ans, un peintre venu de Brussel en cette année 1565 pour croquer une fête de village flamand en hiver, une commande d'un riche client d'Anvers sur le thème des mois de l'année. Dans ce village, il a parlé et même dansé avec Maeke, puis a disparu, laissant à la jeune fille un souvenir ému. Plus tard il est revenu pour affiner ses croquis, noter des détails qui, dans sa toile à venir prendront une grande importance. Il se dit que peindre ainsi des scènes authentiques est bien mieux que d'évoquer des événements historiques ou bibliques comme il l'a déjà fait et préfère la compagnie de gens simples à celle des bourgeois riches, et peut-être aussi celle de Maeke , cette jeune brodeuse réservée et travailleuse de ce village perdu.

    Même si ses tableaux sont célèbres dans le monde entier, on sait peu de choses de la vie de Bruegel. C'est sans doute pour cela que Jean-Yves Laurichesse lui prête une parcelle d'existence parmi ces gens qu'il découvre. Les relations qu'il a avec Maeke sont empreintes de respect, de retenue, d'admiration réciproque. La jeune fille apparaît comme une sorte d'inspiratrice, un prétexte à la création de cette œuvre où pourtant elle ne figure pas. C'est une révélation réciproque puisque, à l'occasion de ce tableau, la jeune fille prend soudain conscience de la beauté des lieux représentés par le peintre ; ils faisaient à ce point partie de son quotidien qu'elle ne les appréciait même plus. Il évoque Pieter, malgré des apparences bourgeoises, comme un homme bienveillant et bon, attentif à ces paysans qu'il ne connaît pas et aussi à l'avenir de la jeune fille,

    Je ne sais pas pourquoi, mais j'ai bien voulu croire à cette tranche de vie , vue à travers ce tableau qui s'est lentement composé dans sa tête avant de prendre forme sur la toile. J'ai, bien sûr, cru aux difficultés de composition, aux failles de la mémoire, à l'impossibilité toujours possible de faire partager, à travers les formes et les couleurs, l'émotion intime du créateur qui prend sans doute plaisir à imaginer, à propos d'un petit détail d'une toile, les interrogations du spectateur quelques siècles plus tard. J'ai aimé aussi cette phase de doute qui étreint l'artiste avant qu'il décrète son œuvre terminée au point que cela nécessite un œil extérieur, et avec lui la crainte de la critique ou de l'indifférence.

    C'est aussi une évocation peu flatteuse de la nature humaine, capable du pire comme du meilleur, mais bien souvent du pire, avec son cortège d'hypocrisies, de médisances, de bassesses et cette jeune fille pure en fait l'expérience bien malgré elle. Cela peut paraître un roman mièvre dans son déroulement et dans son épilogue, quand une certaine forme de littérature nous a habitué à la violence et aux excès, mais il n'en est rien et je suis entré de plain pied dans cette fiction.

    J'ai rencontré l'œuvre de Jean-Yves Laurichesse par hasard et cette chronique s'est fait l’écho des bons moments de lecture aux accents poétiques que cette rencontre a suscités [la feuille Volante n°1170 - 1171]. Je me suis volontiers laissé entraîné dans cette démarche créatrice à l'occasion de ce roman, parce que, il y a de cela bien longtemps, un pareil émerveillement à propos d'un autre peintre, s'était emparé de moi et j'ai apprécié cette manière qu'a notre auteur d'inviter son lecteur à partager son émotion ; Il le fait avec de courts chapitres à l'écriture .fluide comme les touches d'un pinceau posées sur la toile et l'ambiance qui en résulte est paisible comme l'est ce paysage d'hiver. La poésie que j'ai tant appréciée lors de mes lectures précédentes était également au rendez-vous.

     

    © Hervé GautierSeptembre 2018. [http://hervegautier.e-monsite.com]

  • Les brisées

    La Feuille Volante n° 1171

    Les BriséesJean-Yves Laurichesse – Le temps qu'il fait.

     

    C'est à un parcours intime, sur les chemins de son enfance, « aussi invariables que ceux des chats » que nous convie le narrateur qui y revient à l'occasion des obsèques de son père. Les lieux ont changé dans ce petit chef-lieu, les rues sont devenues piétonnes et les boutiques modernes, autant dire qu'il n'en reste pas grand chose mais les visions de sa jeunesse l'assaillent comme des photos en noir et blanc, autant de moments enfuis, définitivement disparus et qui ne reviendront pas. Les échoppes qui ont résisté à la modernité sont vides mais il lui revient « le picotement acidulé de la poudre magique », les odeurs, les couleurs, les visions furtives, une version personnelle de la madeleine de Proust, des bribes de cette enfance qu'on n'oublie jamais. Je découvre petit à petit l'univers de cet auteur mais ce qui me frappe c'est à nouveau le thème de l'abandon des lieux, des appartements, par leurs occupants. J'avais déjà fait cette remarque dans son premier roman, une façon de marquer le silence, la solitude, la fuite du temps, la fragilité de cette vie dont chacun de nous n'est que l'usufruitier. L'auteur nous raconte une histoire comme s'il était le témoin de celle d'un autre, utilisant le pronom personnel « il » mais en réalité c'est la sienne qu'il confie au lecteur. Il déroule rapidement l'écheveau du souvenir et, aux soirées parfois scolairement studieuses de l'hiver répondent les longues journées de vacances, les jeux d'enfant, la découverte d'un atelier aux odorants copeaux de bois ou de la délicate odeur des foins dont ses mots plus tard se nourriront.

    En réalité, ce que j'ai choisi de lire c'est son voyage au pays de l'écriture. Cela commence par la lecture de romans traditionnels où l'ancien temps succède au dépaysement du voyage et son parfum d'aventure. Elle préexiste à ce qui sera sans doute un long cheminement où les poèmes à la prosodie hésitante au début, sont un point de passage obligé. Elle s'affinera par la suite et la feuille blanche sera déjà le témoin des émotions, des émois peut-être, des échecs et des désillusions mais le solipsisme s'accorde fort bien avec le secret et mes mots seront toujours un exorcisme qui aident à supporter les vicissitudes et l’ingratitude du monde. La poésie d'enfance laissera la place à la prose, les mots appelleront les mots qu'on tressera en textes parfois aboutis, parfois jetés, parfois interrompus, qu'on rangera pour plus tard, qu'on thésaurisera comme un trésor ou qu'on oubliera. On en fera même un tapuscrit, en faisant semblant de croire que c'est déjà un pas vers l'édition, vers le succès. On se rêvera bohème et inspiré et se réveillera un peu groggy parce qu'il faut bien vivre, faire autre chose que ce qu'on avait imaginé, parce que la vie quotidienne reprend ses droits avec ses contingences et ses obligations. Puis viendront les essais qu'on jugera réussis, qui seront réalistes, poétiques ou abscons, qu'on enverra à l'éditeur qui bien entendu les refusera, la déception sera grande et avec elle naîtra le doute, pointera le découragement … Pourtant l’inspiration sera là, qui parfois puise ses mots dans une sorte de mémoire héréditaire inconnue et qui attendra qu'on accepte d'écouter son message. Si on passe outre, elle s'évanouira dans un replis du temps pour ne jamais revenir mais si on est vigilant elle offrira un legs inattendu. Puis ce sera la visite qu'on fera à un écrivain reconnu et qui sera un grand moment de sa vie, plein d’illusions et qu'on rangera dans un coin de sa mémoire. Elle sera sans lendemain parce qu'il faut que chacun fasse son chemin, à son rythme, avec son talent, ses imperfections et ses fêlures, avec sa chance aussi, si elle veut bien se manifester. On finira sans doute par se dire qu'on est passé à côté de sa vie qui est unique et qu'on ne peut refaire le chemin à l'envers ou on s’engouffrera dans une opportunité, en se disant que peut-être elle sera la dernière.

    Courts chapitres d'un court roman où j'ai retrouvé avec plaisir la poésie des descriptions, le rythme de la phrase qu'on confie au papier pour qu'il en garde la mémoire, pour qu'il recréé sous les yeux du lecteur respectueux tout le charme de ce passé qui revient, qui prend corps avec des mots porteurs de vie. L'écriture est le témoin de son parcours parce que la vie l'inspire, la nourrit, la justifie, débrouille les choses dans la forêt des souvenirs. Tout cela est prêté au lecteur devenu témoin privilégié qui peut cependant passer outre. Moi j'ai choisi d'y être attentif.

     

    © Hervé GAUTIER – Août 2017. [http://hervegautier.e-monsite.com]

  • Un passant incertain

    La Feuille Volante n° 1170

    Un passant incertain – Jean-Yves Laurichesse – Le temps qu'il fait.

     

    C'est étonnant mais, comme le narrateur, j'ai, moi aussi, selon mon habitude, pris ce roman sur les rayonnages d'une bibliothèque puisque j'aime découvrir ce que le hasard me propose.

    Ici, le narrateur croise, dans la boutique d'un bouquiniste, l'unique roman d'un auteur inconnu, disparu sans descendance, à la fin de la deuxième guerre mondiale, Paul Monestier. J'imagine un volume broché dont on n'a pas même pas pris la peine de couper les pages, comme cela se faisait à l'époque. Ce livre le bouleverse au point de changer sa vie et, cherchant à retrouver les lieux où se déroule l'intrigue, lors d'une sorte de pèlerinage littéraire dans un petite ville du centre de la France, il croit apercevoir l'auteur dans la touffeur de l'été, toujours entre songe et réalité. Il y rencontre même par hasard la seule famille qui reste à cet écrivain inconnu, une nièce, qui lui demande de publier ce roman oublié, comme une seconde chance donnée à cette œuvre...mais sous son propre nom, lui qui n'a jamais rien écrit ! Après des hésitations bien naturelles et oubliant jusqu'au plagiat, pourtant sanctionné par le code pénal, le narrateur se lance et un éditeur, séduit par le côté intemporel du manuscrit, l'édite sans que personne, ni les libraires, ni les journalistes spécialisés ni même les éditeurs ne se rendent compte de rien. Seul le titre est modifié et le narrateur devient un auteur à succès alors que le roman originel, publié quelques dizaines années plus tôt, n'avait connu qu'une audience très locale. L'éditeur sollicite même une suite à cet ouvrage.

    Tout au long de ce roman, j'ai aimé l'ambiance un peu mystérieuse qui y règne et qui ressemble par moment à celle d'un roman policier mais sans cadavre ni sang. Parfois même j'ai eu l'impression que l'imposture allait être découverte (notamment lors des séquences autour du mot « incertain ») , mais en réalité il n'en est rien. C'était un jeu un peu dangereux auquel s'est prêté ce narrateur-auteur un peu solitaire, d'autant qu'il va s'apercevoir, au rythme lent des informations distillées par la nièce de Monestier qui révèle des renseignements comme on place les pièces d'un puzzle, que la suite prévue, s'il parvient à la rédiger, va réveiller de vieux fantômes, révéler des secrets de famille, dévoiler une liaison amoureuse devenue orageuse en ces temps troublés de l'Occupation, dénoncer une facette peu reluisante de l'espèce humaine. Est-il manipulé par elle pour effectuer un devoir de mémoire, pour réparer une injustice ou réhabiliter un nom ? Sera-t-il victime de ce piège dans lequel il s'est volontairement laissé enfermé, acceptera-t-il ce travail de rédaction ? Il est tenté par cette entreprise à cause sans doute de la communauté d'esprit qui existe entre le narrateur et Monestier. On songe à « L'eau grise » le premier roman que François Nourricier écrivit en évoquant Jacques Chardonne. En effet, ce roman qui paraît sous le nom du narrateur fonctionne cependant comme un révélateur et l'incite à s'engager plus avant dans l'écriture personnelle qui affirmera son talent .

    Je n'ai bien entendu pas lu le roman de Paul Monestier mais dans celui de Jean-Yves Laurichesse il y a cette absence de modernité qui me plaît bien et qui veut qu'existe toujours dans une intrigue romanesque une histoire d'amour. Ici des femmes illuminent de leur présence ce texte à des degrés divers, mais il n'y a pas la moindre passade entre elles et le narrateur, comme on aurait pu s'y attendre dans un roman d'aujourd'hui.

    J'ai vraiment bien aimé ce roman qui est original à plus d'un titre. Le lecteur tient entre ses mains un livre qui porte le même titre que le roman de Monestier mais qui pourtant parle d'autre chose tout en y faisant moult références. Il atteint son but, celui non seulement de rendre à la vérité son véritable visage, d'avoir permis la rencontre d'êtres vivants autour du spectre d'un mort, d'avoir montré que le texte écrit, né de ce combat intime entre l'écrivain et le néant de la page blanche, va raconter quelque chose qui s’inscrira dans « le lit défait du temps », marquera, même en pointillé, le passage de quelqu'un sur cette terre.

    Je ne connaissais pas Jean-Yves Laurichesse mais j'ai apprécié son style discret et délicat, la poésie de ses descriptions qui me procure toujours cet extraordinaire dépaysement et cet attachement à la nature qui donne à lire un texte bien écrit qui sert une intrigue originale.

    © Hervé GAUTIER – Août 2017. [http://hervegautier.e-monsite.com]