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la feuille volante

Profanes

La Feuille Volante n° 1085

Profanes – Jeanne Benameur – Actes Sud.

 

Octave Lassale, ancien chirurgien du cœur, divorcé, insomniaque et ex-chasseur, a eu une idée pour le moins originale. Il a recruté par annonces à l'instinct, c'est à dire sans rien savoir d'elles, 4 personnes qui ne se connaissent pas, pour s'occuper de lui alors qu'il a déjà une gouvernante et finalement n'a besoin de personne d'autre. Il veut constituer autour de lui une équipe comme au bon vieux temps quand il exerçait en salle d'opération. Ils pourront même résider chez lui, et tout cela est même prévu par contrat notarial. Marc, un solitaire, un taiseux, sera l'homme du matin, en charge du rasage à l'ancienne et de l'entretien du jardin. Après le repas qu'Octave prendra seul, Mme Hélène, artiste peintre, assurera la lecture de la presse, de 14h à 18h, puis Mme Yolande, agent de supermarché préparera le dîner jusqu'à 22 heures quant à Mlle Béatrice, élève-infirmière, elle sera chargée la nuit de veiller sur la santé d’Octave. Vaste programme et surtout équipe hétéroclite dont on ne comprend pas très bien au début l'intérêt de tout cela ! Chacun a accepté cet emploi pour les raisons personnelles et s'en acquitte de son mieux. Il y a aussi deux autres femmes, deux fantômes, Claire, sa fille morte dans un accident de voiture il y a longtemps, mais pourtant bien présente et Anna sa femme, partie au Canada à la suite de ce décès et du refus d’Octave d'opérer sa fille et peut-être de la sauver. Il vit sa solitude et sa culpabilité comme il peut, s'accroche à une photo, partage ses lectures entre la poésie et les livres religieux. Peu à peu on découvre que Béatrice a à peu près l'age de Claire à son décès, Béatrice qui vit dans le souvenir de son frère mort. Octave a chargé Hélène de faire un portait de Claire d'après l'unique photo qui lui reste, mais c'est un portrait réalisé sans modèle vivant, seulement peint à partir du regard d'une morte. Marc est lui aussi tourmenté par sa vie antérieure passée en Afrique où il a côtoyé la misère et la mort. Reste Yolande qui a été abandonnée par son père et est en recherche d'une âme protectrice. Trois femmes et un homme qui vont être amenés à se croiser dans cette maison et vont apprendre à se connaître.  Sans qu'ils le sachent peut-être, ils vont contribuer à sauver la vie d'Octave tout en sauvant la leur, parce que c'est bien elle qui est au cœur de ce roman. Pourtant, les choses de ce monde, et donc la vie sont marquées par la vanité comme le rappelle l'Ecclésiaste dont Octave est un fervent lecteur. Mais face à la mort, dans le travail qu'il a confié à Hélène, Octave semble avoir délibérément choisi l'art au lieu de la religion. Ce qu'il souhaite c'est que cette jeune fille qui n'a peut-être été confrontée à la mort qu'à travers le décès de ses parents, ce qui est dans l'ordre normal des choses, prenne conscience que la Camarde peut frapper à n'importe quel moment, surtout si elle laisse un père dans le chagrin de la mort de son enfant, ce qui correspond à un renversement de la logique. Son rôle à lui est ambigu. Il est d'une certaine façon l'employeur mais ce qu'il veut surtout c'est faire avancer ces gens ensemble, non comme un maître ou comme un gourou, mais en dehors des dogmes et des religions, comme quelqu'un qui va les inviter à prendre conscience de leur liberté individuelle et de leur vie qui est transitoire.

Dès le début, j'ai été pris par cette histoire un peu bizarre au départ mais rapidement, autour d'Octave qui lui aussi est un solitaire, un peu poète et un peu philosophe, s'est installée une ambiance lourde, secrète avec la mort et, à contre-jour, la liberté, comme si cette grande maison et aussi la nuit étaient les catalyseurs des souvenirs et du présent de chacun des personnages qui y résident, comme si chacun était le profane de l'autre, (étymologiquement celui qui se tient devant le temple) face à sa vie, ses souvenirs ses angoisses., ses obsessions, son territoire, ses failles. Chacun est donc invité à pousser la porte du « temple » de l'autre.

 

C'est un texte fort bien écrit, poétique et qui fut pour moi un bon moment de lecture, entretient jusqu'à la fin les zones d'ombres de chacun tout en révélant par petites touches ce qui va les réunir.

 

© Hervé GAUTIER – Novembre 2016. [http://hervegautier.e-monsite.com ]

 

 
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