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la feuille volante

LITTERATURE VAGABONDE

N°961– Septembre 2015

 

LITTERATURE VAGABONDE Jérôme GARCIN - Flammarion.

 

Depuis longtemps, j'ai, dans cette chronique, dit combien j'apprécie l’œuvre de Jérôme Garcin. J'aime son style, son écriture cultivée et respectueuse de notre belle langue française, les thèmes qu'il traite… Parmi ceux-ci, il a parfois choisi de mettre en lumière des êtres dont la vie, souvent brève, a été vouée à une passion mais dont la mémoire collective n'a pas gardé la trace de leur passage sur terre ni bien entendu de leur action personnelle. Il s'est donc fait, à diverses occasions, biographe mais chez lui l’écrivain n'est jamais très loin qui ne peut s’empêcher d'imaginer, de mettre son empreinte romanesque sans pour autant trahir son sujet. Ici la démarche est différente et son évocation se fait plus anecdotique, plus brève, moins emprunte d'imagination mais pas moins personnelle puisqu'il confie d'emblée au lecteur « J'ai découvert la France dans les livres...Elle avait la beauté que l’écrivain lui prêtait et que, ne le connaissant pas encore, je croyais être la réalité ». Après tout, surtout quand on est parisien, découvrir son pays à travers les écrivains qui en ont parlé n'est assurément pas une mauvaise approche et je suis même assez persuadé que cela peut faire naître une vocation. Il y a certes les hommes de Lettres qui ont fait la littérature française et à qui s'attache un lieu emblématique, Maupassant en Normandie, Voltaire à Ferney, Balzac en Val de Loire, Mauriac à Malagar, Colette en Bourgogne… mais à l'occasion de ce livre, l'auteur choisit de rencontrer certains des écrivains vivants, présents dans cet ouvrage, de partager avec eux un moment de dialogue autour de leur œuvre qu'il connaît parfaitement et dont il parle abondamment, une autre façon de leur rendre hommage en tout cas, une forme de respect pour leur talent et je ne doute pas que la notoriété de Jérôme Garcin, sa qualité de chroniqueur littéraire, son talent d’écrivain, son entregent ont largement favorisé ces rencontres qui, sans tout cela, n'eussent peut-être pas eu lieu. Certes il relie un écrivain contemporain à un terroir, à une maison, mais c'est bien souvent pour eux une « avant-dernière demeure » où ils attendent la mort avec tout ce qu'il faut de fatalisme et de philosophie, en jetant sur le monde qu'ils vont bientôt quitter un regard souvent désabusé, emprunt de nostalgie et souvent de déconvenues de ne pas avoir été compris ou reconnus, voire d'aigreurs face à cette comédie de la vie à laquelle il ont participé mais qui les a oubliés ou déçus. L'auteur saisit l'opportunité d'un entretien, préférable à toutes les interprétations parfois erronées que suscite la lecture des textes, pour occasionner chez son interlocuteur une remarque ou un aphorisme que le révèlent bien plus sûrement que de longs discours. Ils ont, chacun à leur manière vécu et donc illustré l'incontournable thème de « la vie, l'amour, la mort », ont marqué leur parcours personnel avec leurs livres qui sont autant de jalons dans leur itinéraire intime. De cela, l'auteur de ce volume entend rendre compte, simplement mais fidèlement. Ce que je retiens de ce livre c'est que, après avoir marqué les Lettres françaises de leur empreinte plus ou moins forte, avoir, pour certains participé à l'Histoire, avoir connu avec l’inspiration et l'écriture mais aussi avec les éditeurs et donc avec la notoriété des hauts et parfois surtout des bas, ces écrivains se sont retirés de toute cette agitation médiatique, comme pour attendre sereinement la mort, dans le recueillement et la solitude d'établissements oubliés ou de maisons ignorées par le cadastre, comme s'ils estimaient avoir dit ce qu'ils avaient à dire, avoir fait ce qu'ils avaient à faire. Il m'a semblé que nombre d'entre eux, même les plus athées, souhaitaient se rapprocher de Dieu ou d'une forme particulière de divinité qu'ils se seraient eux-mêmes forgée. Est-ce une façon de se rassurer face au néant, eux qui ont tant profité ou qui ont si bien parlé de cette vie terrestre ?

Ce livre a été publié au début de l'année 1995 et certains articles sont évidemment bien antérieurs à cette date. Nous sommes au XXI° siècle et les écrivains continuent de marquer la culture de leur empreinte. Il pourrait donc y avoir une suite à ces entretiens. Certes, il ne manque pas de bons serviteurs de notre langue et la relève sera assurée, mais, je ne sais pas pourquoi, ce genre d'ouvrage qui tient peu ou prou de l'anthologie personnelle de son auteur, me paraît teinté de nostalgie, comme si les choses étaient gravées dans un marbre définitif. Cette chronique a modestement choisi aussi de parler des écrivains contemporains à travers leurs œuvres et j'ai bien souvent déploré que des prix prestigieux fussent accordés, à force d'avoir été sollicités, à qui ne les méritaient pas. Qu'on ne compte pas sur moi pour labourer le thème éculé du « de mon temps » mais il me semble que les choses ont changé et que dans l'inflation de ce qu'on publie annuellement la qualité littéraire me paraît bien souvent sacrifiée.

 

Jérôme Garcin s'efface volontiers derrière son sujet. Il n'en donne pas moins son avis personnel, fait souvent référence à François Mitterrand qui fut, même si on ne partageait pas ses idées politiques, le dernier président cultivé de la V° République (les choses ont bien changé), parle de ceux qui furent ses amis ou de ceux dont il a simplement admiré le talent, ceux qui furent vite oubliés, ceux qui ont eu une vie médiatique, débridée et passionnée, comme ceux qui ont voulu préserver leur intimité, ceux qui se sont battus pour la liberté d'être et d'écrire, la leur et celle des autres.

Hervé GAUTIER – Septembre 2015 - http://hervegautier.e-monsite.com

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