la feuille volante

Le contraire de un – Erri de Luca

 

N°460 - Octobre 2010

Le contraire de un – Erri de Luca – Gallimard.

Le titre de ce recueil de nouvelles est à la fois énigmatique et évident ainsi que le note la 4° de couverture « Deux n'est pas le double de un, de sa solitude. ».

Un recueil comporte toujours une unité que recherche inconsciemment le lecteur. Ici, il présente deux parties et singulièrement c'est la deuxième, intitulée « Les coups des sens » et qui est la reprise d'un recueil publié quelques années plus tôt, où se justifie le plus ce titre. Ces courts textes qui évoquent effectivement les cinq sens sont, selon l'auteur, destinés à défaire «  le temps de quelques pages le nœud lâche et le nœud serré des récits sur l'aventure du deux, le contraire de un ». Ils se réfèrent principalement à des souvenirs de son enfance napolitaine, solitaire sans doute. Il confesse «  Je suis d'un siècle et d'une mer mineurs. Je suis né en leur milieu, à Naples en 1950 ». Plus loin de Luca confie à son lecteur «  Il a bien dû exister pour moi une heure où j'ai connu de quoi était fait l'envers des solitudes, le contraire de un » ou bien encore «  nous sommes deux, le contraire de un et de sa solitude suffisante ». Le ton est donc donné.

 

Le recueil s'ouvre sur un poème à Mamm'Emilia (sa mère?). Il se poursuit par des textes où il est possible de lire la trace de son expérience militante, entre charges de police, gaz lacrymogènes et manifestations révolutionnaires, mais rapidement cette impression se dissipe et laisse place à une vision du monde différente, plus intime bien que fugace, comme en filigranes : « La jeune fille à la jupe bleue s'éloigna ce jour-là et qui sait qui a mérité de l'avoir entre ses bras ». Vient un autre texte, celui qui met en scène une femme qui attend son assassin sans le connaître qui aspire à la mort mais rejoint la vie grâce à une rencontre de hasard. Les femmes (ou les jeunes filles) comptent beaucoup dans l'œuvre de de Luca, elles accompagnent souvent un parcours intime d'adolescent puis plus tard d'adulte, parce qu'elles sont l'objet de fantasmes, soit parce qu'il en tombe amoureux et qu'elles font un petit bout de chemin avec lui, soit parce qu'elles sont une sorte d'ombre dans sa vie qu'elles ne font que traverser. Que se soit durablement ou non, elles suspendent pour lui le temps et font échec à sa solitude, sont effectivement le contraire de un.

 

Ce sont des impressions d'enfance et d'adolescence napolitaines, pas vraiment tristes mais empruntes d'une certaine mélancolie. Les phobies ne sont pas absentes non plus (la mort, le noir, l'enfermement, l'étouffement, la peur de l'avenir...) qui sont des variantes de la solitude. Cette impression est prégnante tout au long de ces nouvelles et même lorsque qu'une équipe se forme, il revient toujours à ce concept de l'unique (« la moindre cordée de deux, même si elle s'entend bien, en a toujours un qui encaisse moins bien la retraite, qui voudrait risquer un peu plus » ). Plus tard, c'est sans doute en réaction contre cette enfance solitaire qu'il s'engagera dans des actions collective où l'individu certes agit conformément à un idéal individuel, mais le fait à l'intérieur d'un groupe.

 

Je ne peux passer sous silence la poésie qui s'attache à l'étrange attraction des mots (« J'observais plutôt la querelle des couleurs sur le marché de la palette qui avait un trou pour le pouce et le sien trempait dans la sauce de l'arc en ciel »).

 

l'hypothétique lecteur de cette chronique se sera sans doute rendu compte de l'intérêt que je porte à l'œuvre d'Erri de Luca non seulement par la qualité de son écriture simple et authentique (qu'une traduction fidèle ne trahit pas) mais aussi à cause de son engagement politique, militant et humanitaire sans concession.

 

Chacun de ses livres est en tout cas pour moi un bon moment de lecture.

 

 

 

© Hervé GAUTIER – Octobre 2010.http://hervegautier.e-monsite.com

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