la feuille volante

Le plus et le moins

La Feuille Volante n° 1113

Le plus et le moins Erri de Luca - Gallimard.

Traduit de l'italien par Danièle Valin.

 

Ce sont quarante courts textes que l'écrivain italien choisit d'offrir à la lecture. Ils évoquent des épisodes de sa vie, de son parcours assez atypique d'homme, d'ouvrier et d'écrivain. Cette empreinte autobiographique est rare dans l’œuvre de Luca, plus nettement marquée par le récit romancé. Né à Naples dans une famille modeste, il devient ouvrier maçon, conducteur de camions, travaille sur les chantiers, dans la mine puis en usine ce qui le mène, comme beaucoup d'Italiens, vers Turin et vers la France. Il nous confie ce que fut son éveil à l'écriture, dès l'école primaire et cette « révélation , comme « un champ ouvert, une issue ». Cet épisode de son enfance marque cependant une étape décisive dans sa vie ; face à l'attitude dubitative du maître d'école devant son récit pourtant personnel, le petit garçon qu'il était alors choisit d'entrer en résistance contre le pouvoir dominateur de cet instituteur. La résistance au pouvoir, notamment par l'écriture, sera un des piliers de sa vie et on se souvient qu'en 2013 il appela à la révolte contre un projet ferroviaire franco-italien, acceptant par avance l'incarcération au nom de la liberté d'expression et du devoir d'opposition à un projet qu'il jugeait inutile et dangereux [il fut relaxé]. Il s'insurge contre les bombardements qui tuent des civils, que ce soit en Espagne, pendant la guerre civile à Guernica, à Naples pendant la deuxième guerre mondiale où la voix des femmes en garde la mémoire ou à Belgrade à la fin du XX°siècle. Plus tard, cet autodidacte authentique se singularisera en préférant la lecture dont le goût lui a été légué par son père, et grâce à son de son errance au gré du travail, il engrangera des souvenirs personnels qui nourriront son œuvre. L'écriture accompagnera ses pas et fera de lui le témoin de ses expériences personnelles, familiales et professionnelles, des visions fugitives d'une maison qu'on détruit dans son quartier napolitain ou des figures plus marquante d'un ouvrier ou la vision fugitive d'un chien . A titre personnel, il marque son attachement à la nature au travail , avec toujours, dans son sac de modeste salarié, un livre. Il dit en effet, tout le bien qu'il pense de la lecture, celle de l’œuvre des autres qui l'a ouvert à la littérature et a suscité et entretenu sa propre création, évoque Louis-Ferdinand Céline, parle de la Bible qu'il lit en hébreu, des chansons de Bob Dylan, des montages que maintenant il escalade, de tout ce qui a construit sa vie pêle-mêle, sa famille, son enfance napolitaine, la mer Méditerranée, ses combats pour l'égalité, la liberté et la fraternité entre les hommes, pour la dignité des ouvriers et du travail ingrat et dangereux qui réunit des étrangers sans distinction de race ni de religion. Il fait aussi l'éloge des bistrots qui, en Italie comme en France sont le lieu géométrique des plaintes, des larmes et de cette volonté toujours avortée de refaire le monde, accoudé à un comptoir. Il y a dans ses apprentissages des présences féminines, mais elles me paraissent sobres, timides, éphémères quand tant d'autres écrivains font étalage de leurs succès, d'autant plus volontiers qu’ils les puisent souvent dans leur imagination et dans leurs fantasmes beaucoup plus que dans leurs expériences. L'écriture est heureusement là pour pallier pas mal d'échecs !Il est difficile à De Luca qui fut un travailleur manuel de passer sous silence sa révolte contre toutes les injustices, les exclusions, les hiérarchies, sa satisfaction de voir une jeunesse américaine s'être dressée contre la guerre du Vietnam au nom de la liberté, l'égalité, la fraternité dont il puise les sources autant dans les chansons de Dylan que dans les romans de Kerouac.

Comme toujours son écriture est poétique (je n'oublierai pas non plus la traductrice). Il parle de lui, comme tous les écrivains mais le fait à travers les histoires des autres qu'il s'approprie. Dans ce recueil de textes qui ne sont pas des nouvelles mais des évocations de son parcours personnel, j'ai choisi de voir un univers douloureux comme le sont généralement les livres. Il me semble fait de solitude, de regrets, de remords et d'une certaine nostalgie née de la fuite du temps ;

© Hervé GAUTIER – Février 2017. [http://hervegautier.e-monsite.com ]

 
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