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la feuille volante

PATMOS et autres poèmes – LORAND GASPAR – Collection Poésie Gallimard.

 

N°250 – Juin 2004

 

 

PATMOS et autres poèmes – LORAND GASPAR – Collection Poésie Gallimard.

 

 

J’ai toujours plaisir à célébrer l’anniversaire de cette modeste revue par la lecture d’un écrivain d’exception. Lorand Gaspar avait déjà accompagné le 23°, il sera donc le prétexte au 25°, et je ne peux que m’en réjouir.

 

Comment le dire ? J’ai abordé ce livre comme un objet tout d’abord posé sur ma table, en le regardant, le tournant, le prenant en mains avant de l’ouvrir parce le moment de goûter son message n’était probablement pas encore venu. Mais quand le temps de cette communion intime avec le recueil s’est manifesté, il m’a fallu pouvoir abandonner toutes choses et me lancer, porté par cette musique et ce mystère parce que c’était maintenant et que l’instant d’après ce serait trop tard !

 

Il faut peut-être entrer dans cet univers fait de fragrances, de sons, de couleurs par la porte des mots parce qu’il y a une douceur mystérieuse dans cette écriture, dans l’apaisant mouvement du langage qui berce l’âme, la subtile lueur d’une image simplement tissée dans la clarté de l’instant singulier qui est celui où le souffle de l’inspiration révèle sa force et la prête à celui qui est digne de la recevoir pour la transmettre à son tour par l’alchimie de notre si belle langue française aux autres êtres humains !

 

C’est le miracle de la vie qui à chaque vers est célébré dans ce livre, c’est l'appel à une lecture neuve, à l’image de cette écriture libérée des entraves, habile à décrypter les pulsations de la nature dont le poète retisse lentement la réalité. Fragilité est ici écrit en lettres majuscules parce que l’auteur de « Sol Absolu » sait et nous rappelle que tout ici-bas est transitoire mais que peu d’hommes en prennent conscience. Sous sa plume, chaque son est une musique et les ongles grattent la portée invisible des cordes instrumentales pour en tirer quelque chose, plainte ou douce lumière, qu’importe. Seul le message compte ! C’est la vie qui gagne parce qu’elle est permanence, parce qu’il sait regarder, écouter et sentir, s’arrêter et perdre son regard dans l’immensité de la mer et du ciel, qu’il sait tomber sous le charme de l’imprévu. !

 

L’auteur est bien un veilleur, un vigile attentif des lieux, sais les dire, les célébrer simplement qu’ils aient pour nom Patmos, Sidi Bou Saïd, Judée, Mer Rouge ou Saint Rémy du Val… C’est toujours le monde, celui de la Création dont il parle avec simplicité et respect. Face à lui, il sait être pudique, secret et assurément humble. Il sollicite les cinq sens avec en plus peut-être cet art des contrastes qui fait ressortir la vraie beauté des choses, l’usage de l’oxymore, l’opposition entre noir et blanc, froidure et chaleur, clarté et obscurité, le jour et la nuit l’occident et la Chine « à l’âme inoubliée ».

 

Cet attachement à une maison dont les fondations ( « les amarres » s’enfoncent dans le sable ou la pierre n’est pas moins important car elle est un refuge, un espace qui favorise le repli sur soi pour mieux renaître à cette permanence de la vie. Elle est aussi un jalon, une borne, une sorte d’auberge du silence où se manifeste, ici plus qu’ailleurs sans doute les vibrations qu’il convient de quérir. Ici on porte témoignage, un témoignage intime de sensations et de sentiments en prenant soin de dire les choses, mais aussi en gardant secrètement des parcelles de ces mêmes choses parce qu’elles doivent rester inavouées et temporairement retenues, peut-être aussi parce qu’elles sont indicibles, parce que les mots ne sont pas encore prêts qui les exprimeront complètement. Ce long mûrissement auquel se prête le poète ne peut qu’enfanter des textes qui s’inscrivent dans la durée, dans le temps et dans la mémoire.

 

Il y a une manière originale de nommer sobrement les choses, la lecture s’offrant simplement avec les nuances du poème en n’oubliant pas que la parole est délicate mais aussi source de vie, née entre deux néants, du silence d’avant et d’après les mots, simples vibrations dans l’air ou traces sur le papier, mais qui pourtant devient pérenne. Il compose son texte comme un peintre son tableau pointilliste, par petites touches, jouant sur les contraires, avec une prédilection peut-être pour le blanc aérien face au noir de l’encre mystérieux et inconnu. Les gris qui gardent la mémoire des formes sont revisités, éclaircis, imprimés fugacement sur les murs chaulés, empreints d’un silence chaud. Les différentes gammes de bleu se déclinent entre mer et ciel, jusqu’à la fumée vaporeuse et odorante de l’encens, du « bleu écaillé d’une barque » ou des « gris-bleus et des verts délavés » qui évoquent pour lui des variations musicales de Debussy.

 

Il y a l’eau, celle de la mer, celle de la pluie, élément liquide extraordinairement lustral, fluide et matinal qui lave même le regard. La rosée où se lavent les mots, l’eau de mer « où le silence aussi s’entend » sur laquelle le pêcheur, « danseur ébloui sur une nappe de frémissements translucides » semble marcher, à la fois transparente de près et bleue de loin qui accompagne le bruit sec et répété du ressac qui meurt et renaît dans un mouvement d’écume ; cette clarté m’évoque la page blanche, à la fois vide et invite à la création, l’eau de la rosée, celle du torrent dont les eaux «emportent les mots (qu’il) cherche », celle du baptême qui « jaillit des jardins nocturnes du corps », celle de la source dans ce qu’elle a de virginal et de frais, née de la terre elle va vers la mer après ses noces avec la terre et les pierres, eau durcie en cristaux de neige, eau des sanglots, celle qui « tremble dans l’œil » aussi…

 

L’art de l’hypotypose qui donne à voir une scène par la seule force évocatrice des écrits est présent chaque page avec aussi ce sens de l’image poétique. Il parle de « poignée d’écume » de « tout le rayonnement de midi moulu dans une poussière d’eau » d’ « une lame d’acier cru » ou de la « vendange du raisin de mer » « l’abîme muet du toucher », « la rugine du matin », les « Sons brodés par la nuit » ou des « grappes de pensées »… Il prête au lecteur attentif des visions fugaces, de brefs moments de vie, d’éphémères images d’un lieu avec juste ce qu’il faut de senteurs et de couleurs pour que la trame de la scène effleure l’imaginaire. C’est une sublimation de l’instant poétique dans ce qu’il a d’immédiat, d ‘unique et de bouleversant. Il y a dans ce moment tout chargé de mystères, malgré, ou peut-être à cause de son aspect quotidien et presque banal mais Ô combien précieux pour qui sait en discerner la richesse, une sorte de dimension à la fois bienvenue et impalpable un peu comme les calligrammes chinois tracés à mainlevée par Wang Mo. Il y a quelque chose d’intemporel aussi dans ces poèmes parce que la vie est unique et que les pierres du désert éclatés en sable par le gel, étaient, il y a bien longtemps, des montagnes. Dire les choses avec une grande économie de mots est bien l’apanage de notre auteur parce que les paysages prêtés au « regard » du lecteur possèdent aussi ce dépouillement !

 

Il célèbre en la nommant « la pure jouissance d’être », ce « mystère d’être là » devant « l’agrafe d’or d’un feu », percevoir « le pain très blanc d’un cri » profiter du « goût exquis du rouget grillé aux herbes sur braise », regarder « l’irruption des martinets ivres d’un festin joyeux absorbés totalement par l’exercice de vivre ». Il y a une sensualité de bon aloi dans cette écriture, cette « étrange saveur de chair nue », ce « geste qui touche un instant le sombre jardin du corps ». Cet amour de la vie est aussi puisé aux « pépites » de l’enfance insouciante et innocente mais aussi tourmentée par les embûches du parcours à venir. Ce monde est là, face à soi qui attend d’être conquis, qui s’offre à la marque unique qu’on voudra bien y imprimer.

 

Le livre refermé reste sertie dans l’âme du lecteur, et pour longtemps, cette marque poétique tissée de mer et de désert, de terre d’eau et d’air. Elle enchante par sa spontanéité, sa fraîcheur, sa claire densité, son humilité aussi.

 

 

©Hervé GAUTIERhttp://monsite.orange.fr/lafeuillevolante.rvg 

 

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