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la feuille volante

Lucía Etxebarría

  • Cosmofobia

     

    N°574– Mai 2012.

    COSMOFOBIA Lucia Etxebarria – Éditions Héloïse d'Ormesson.

    Traduit de l'espagnol par Maïder Lafourcade et Nicols Véron.

    J'avais déjà lu, un peu par hasard, cette auteure (« Amour, prozac et autres curiosités » – La Feuille Volante n° 433 de juin 2010). J'avais bien aimé parce qu'elle m'avait étonné par son humour. Pourtant là, j'ai eu beaucoup plus de mal à entrer dans son univers. Tout d'abord je n'ai pas aimé le style. Je suis peut-être vieux-jeu mais j’attends d'un roman qu'il soit bien écrit et quand on doit passer par le biais de la traduction, c'est d'autant plus difficile parce qu'il n'appartient pas au traducteur de réécrire le livre qu'on lui a confié. Le style est certes spontané, reflète le langage parlé, les dialogues en sont la reproduction. Je ne dis pas que cela me gêne mais quand j'ouvre un roman, je m'attends, peut-être inconsciemment à lire autre chose que ce que je côtoie dans la vie, même s'il se trouve des lecteurs pour penser le contraire. Des enfants ballottés d'un côté et de l'autre par des parents qui font passer leur plaisir ou leurs intérêts avant ceux de leur progéniture, les couples qui se séparent alors qu'ils se sont promis de s'aimer pour la vie, des gens qui choisissent de vivre ensemble alors qu'ils ne se supportent plus par habitude ou par peur de la solitude ou qui préfèrent fermer les yeux sur les infidélité de l'autre, l'existence qui devient soudain insupportable alors qu'elle avait été magnifique, les mensonges, les trahisons, l'hypocrisie, cela existe, ce sont des faits de société et personne n'y peut rien. Nous ne vivons pas dans un monde virtuel où tous les protagonistes sont beaux, gentils, fidèles et irréprochables. Les contes de fée, c'est pour les enfants et l'espèce humaine me semble de plus en plus infréquentable...

    Cela me semble être la traduction du titre : Cosmofobia, peur du monde entier. Cela me plaît plutôt quand la littérature se fait l'écho de ce quotidien qui n'a rien d'un monde melliflu, mais au moins que cela soit agréable à lire, que le lecteur passe un bon moment, que sa lecture soit un plaisir.

    Ce roman est une autofiction, une somme de nouvelles qui mettent en scène une télé-opératrice fauchée et un peu paumée qui vit dans un quartier populaire de Madrid. A travers de nombreux personnages l'auteure aborde les questions du métissage, de l’immigration, de la vie en société et de ses amours difficiles.

    Je suis désolé de ne pas faire chorus avec les louanges que j'ai pu lire dans la presse à propos de cette auteure. C'est vrai que c'est facile de formuler ainsi des critiques, mais j'ai eu beaucoup de mal à terminer ce roman et je n'y ai pris aucun plaisir.

    ©Hervé GAUTIER – Mai 2012.http://hervegautier.e-monsite.com

  • AMOUR, PROZAC ET AUTRES CURIOSITÉS - Lucía Etxebarría

     

    N°433– Juin 2010

    AMOUR, PROZAC ET AUTRES CURIOSITÉS – Lucía Etxebarría - Denoël.

    (traduit de l'espagnol par Marianne Millon)

     

    La découverte d'un auteur inconnu est toujours un moment fort pour moi et quand celui-ci est espagnol, mon appétit de lire en est augmenté. J'ai donc pris ce roman, un peu au hasard d'autant que la 4° de couverture était plutôt engageante. A l'en croire, le public de la péninsule l'avait accueilli comme « le roman d'une génération ».

     

    Au vrai, cela commençait plutôt bien, je veux dire sur le ton de l'humour qui nous fait supporter bien des choses dans notre pauvre vie. D'abord Cristina, 24 ans, serveuse après avoir travaillé quelques temps dans un bureau, elle est un peu le vilain petit canard de cette famille Gaena... Elle n'arrive pas à se remettre d'avoir été larguée par son petit copain irlandais.. Quand, pour compenser ce manque, elle ne s'envoie pas en l'air avec des amants de passage, elle se met à songer à son enfance où s'entremêlent les regrets d'être une fille, une religiosité surréaliste, la fuite du père, ses débuts difficiles dans le monde du travail, et à ses autres sœurs auxquelles elle ne parle presque plus. Son problème principal semble être son taux de testostérone qui, par ailleurs justifie, pense-t-elle, sa propension à s'envoyer en l'air. Rosa, 30 ans, distante, froide, rationnelle, condescendante, suffisante, cadre supérieur consciente de ses responsabilités, de ses compétences, elle a réussi dans un monde d'hommes. Pourtant elle est seule dans son bel appartement, dans sa puissante voiture, avec ses tailleurs à la mode! Elle a perdu sa virginité comme on passe un examen... par nécessité! Ana, 32 ans. Elle a tout ce qu'une mère de famille et maîtresse de maison sérieuse, maniérée, bourgeoise peut désirer, un mari beau et brillant, un enfant adorable, une maison, une domestique... mais elle est fatiguée de vivre au quotidien parmi les marques de lessives et n'a même plus la force de faire le ménage ou de ranger ses placards. Elle sait tout de l'orgasme... mais par ouï-dire seulement et a dû la perte de sa virginité à un quasi-viol. Autant dire que la roulette de la génétique les a faites complètement différentes au physique comme au moral, mais leur mère ne voit rien de la détresse de ses filles!

     

    Pourtant, elles ont en commun une sorte de mal de vivre que chacune combat à sa manière puisqu'elles dépriment tant qu'elle le peuvent: Cristina carbure à l'ecstasy, à l'alcool, on peut dire qu'elle est aussi un peu nymphomane (« j'ai besoin d'une queue entre les jambes » avoue-t-elle), Rosa a jeté son dévolu sur le Prozac et autres anxiolytiques, quant à Anna, ce sont les somnifères qu'elle affectionne... chacune sa panacée dans ce monde déshumanisé!

     

    Dans ces « paradis artificiels », il me semble qu'il est surtout question d'amour, ou plus exactement de sexe. Pour Cristina, c'est un usage abusif et obsessionnel, peut-être à cause de la fuite du père, peut-être aussi parce qu'elle passe son temps à vouloir être aimée par des gens qui ne font même pas attention à elle (thème connu), pour Rosa c'est plutôt une absence cruelle tandis que pour Anna, ce serait plutôt la routine... avec des regrets et des remords.

     

    Dans une sorte de catalogue alphabétique, l'auteur nous décline toute les facettes du mal-être commun à ces trois sœurs ainsi que leur parcours, leurs expériences, leurs apprentissages . Elle y parle d'un univers qui est aussi le nôtre, pourquoi pas! L'auteur le fait sur le ton de l'humour et dans un style volontiers enlevé qui s'attache le lecteur, plus attentif sans doute à l'anecdote qu'à la détresse que peu à peu elle instille dans sa description. C'est pourtant vers la fin que ce récit est carrément émouvant. Jusque là, la narratrice s'était surtout appesantie sur le cas de Cristina, mais sur un mode léger. Dans les dernières pages elle rappelle tout le désarroi de cette «jeune fille de bonne famille recyclée», en perpétuelle recherche d'un amour impossible, qui a 16 ans a fait une tentative de suicide et qui maintenant glisse vers l'héroïne. Le discours humoristique du début cède la place à l'horreur quand elle évoque l'épreuve de la seringue, la douleur de l'injection et la mort par overdose de son copain Santiago. A ce moment Cristina prend une autre dimension, elle goûte soudain « la chance d'être encore en vie. C'est un immense cadeau », mais n'a plus personne à qui se raccrocher et sûrement pas à sa mère que la vie a meurtri elle aussi, mais d'une autre manière et qui a toujours été absente.

    Elle prend alors une résolution « Tant que je serai là, j'irai de l'avant », rappelle que la femme n'est pas comme la Bible le prétend sous la dépendance de l'homme, mais puise dans la Kabbale des exemples de femmes fortes ( Déborah, Athalie, Judith, Betsabée, Esther...) qui elles aussi ont su faire face... Alors, le message des bonnes sœurs qui a perturbé son enfance, il valait mieux l'oublier! Elle choisit de retenir l'exemple de Lilith, femme créée , selon la tradition rabbinique avant Ève et faite d'un peu de boue. Elle est l'égal d'Adam et sa compagne et non sous sa dépendance. Quant à ses sœurs, elles ont, elles aussi, décidé de réagir, Ana demande le divorce(et finira sans doute par l'obtenir) sans donner de raison et se voit internée dans un asile d'aliénés, Rosa s'accepte enfin comme elle est, à cause peut-être d'une chanson obsédante qu'elle entend au téléphone et qui lui rappelle son enfance. Bref, ces trois sœurs se retrouvent autour de la déchéance de l'une d'entre elles, se reparlent même si elles choisissent de rejeter leur mère. Une sorte de happy-end en quelque sorte, un message d'espoir dans cette société qui peu à peu a perdu tous ses repères!

     

    C'est vrai qu'au départ, j'ai lu ce livre avec les yeux d'un lecteur que l'humour amusait un peu malgré un style oral et sans véritable recherche littéraire. J'ai même connu une certaine lassitude mais j'ai poursuivi jusqu'au bout, partagé entre la curiosité et la volonté d'en finir pour pouvoir en parler et me dire que j'avais au moins lu un ouvrage de cet auteur. J'ai été ému à la fin et je n'ai pas regretté ma persévérance en me disant que sans cela je serais sans doute passé à côté de quelque chose et que cela aurait été dommage.

     

    Alors, roman d'une génération, sûrement! Sous couvert d'un certain humour, c'est en réalité une photographie sans fard de notre société, avec ses travers, ses dérives, un espoir... Peut-être?

     

     

    © Hervé GAUTIER – Juin 2010.http://hervegautier.e-monsite.com

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