la feuille volante

Luigi Pirandello

  • Trois nouvelles


     

    La Feuille Volante n° 1375 Août 2019.

    Trois nouvelles (Tre novelle) - Luigi Pirandello. Pocket.(édition bilingue)

    Traduit de l'italien par Aurore Mennella.

    On connaît surtout Luigi Pirandello comme dramaturge et romancier, mais cet écrivain italien (1867-1936), Prix Nobel de littérature en 1934 est aussi l'auteur de nombreuses nouvelles et cette édition bilingue a choisi trois d'entre elles intitulées" La première sortie du veuf", "Première nuit" et "Avec d'autres yeux" . Elles ont déjà été publiées dans des revues et des recueils précédents.

    Sélectionner trois nouvelles parmi toutes celles qu'il a écrites n'a sans doute pas été chose facile, pour autant elles me paraissent bien incarner l'auteur. Il y a sans doute beaucoup de Pirandello dans ce pauvre homme de la première nouvelle qui perd sa femme à qui il avait juré fidélité par delà la mort et qui, de guerre lasse, accepte de sortir à l'extérieur pour renouer avec la vie. Quand elle était encore vivante cette épouse harcelait ce pauvre homme comme, sans doute, Madame Pirandello, jalouse et malade, tracassait son mari. Probablement aussi cette nouvelle évoque-t-elle la redécouverte de l'amour pour un homme d'âge mûr comme l'auteur qui, devenu directeur de théâtre, tomba éperdument amoureux d'une de ses comédiennes, évidemment plus jeune que lui. Ici, la femme est certes une épouse dont on peut être amoureux, mais c'est surtout une maîtresse de maison, un soutien pour son époux, souvent vieux et veuf et donc censé être sage et prévenant, et dont elle adoucira les jours. Le mariage devient le refuge des jeunes filles pauvres, un des moyens, avec l'émigration, de les faire sortir de leur condition misérable, même si le revenu et la fortune de leur nouveau mari est illusoire. Cette idée de la pauvreté revient constamment dans cette Italie et l'auteur lui-même, au début en tout cas, vivote de son salaire de professeur et l'entreprise familiale de son père connaît un grave revers de fortune. Ces femmes n'ont bien souvent à offrir que leur corps, et évidemment leur virginité, et surtout leur force de travail, ce qui fait d'elles davantage des domestiques que de vraies épouses, celles qui porteront et élèveront les enfants à venir et s’occuperont de ceux du précédent mariage de leur nouveau mari. A l'époque, il y avait aussi le poids des convenances, de la coutume et sûrement aussi de la religion qui voulaient qu'on ne se remariât pas après la mort du conjoint, qu'on lui restât fidèle par-delà la mort. Dans la deuxième nouvelle, le souvenir des disparus devient même obsédant et dans la troisième, le thème de l'amour revient sous sa plume, amour trahi par l'adultère mais aussi sublimé par la mémoire et jamais oublié. Bien entendu la souffrance et aussi la jalousie accompagnent cet amour impossible. Pirandello ne manque pas non plus d'évoquer la gaucherie des hommes devant leur jeune promise, la peur de la jeune épousée innocente que la nuit de noces terrorise, la crainte de quitter ses parents pour vivre avec un homme dont souvent elle ignore tout, la bienveillance des autres femmes qui voient dans le mariage une chance pour la jeune femme et celles qui, peut-être jalouses, se révèlent autoritaires comme elles le seront toute leur vie.

    A la lecture de ces trois nouvelles, j'ai ressenti une impression de grande solitude des personnages, qu'ils soient hommes ou femmes, face à cette vie qui n'est qu'une comédie triste et illusoire qu'ils apprivoisent comme ils peuvent. Il y a un certain dégoût de cette existence qui nécessite de la part de chacun, si toutefois il en a conscience, une mise en scène obligatoire et incontournable qui permet uniquement de supporter ce qui n'est finalement qu'une somme d'épreuves. Il y a sûrement un peu de lui-même dans ces trois textes mais, la qualité de l'écriture, de la traduction en fait une photographie de l'Italie rurale et pauvre de ce début du XX° siècle et de Pirandello non seulement un témoin de son temps mais aussi un observateur attentif et pertinent de l'espèce humaine.

    ©Hervé Gautier.http:// hervegautier.e-monsite.com


     

  • L' exclue

    La Feuille Volante n°1038– Mai 2016

    L'EXCLUE – Luigi Pirandello. Actes sud.

    Traduit de l'italien par Marguerite Pozzoli.

    Rocco Pantàgorra est très malheureux. Il vient de surprendre son épouse en train de lire une lettre de Gregorio Alvignani qu'il soupçonne d'être son amant. Est-il à ce point malheureux en ménage, maladivement jaloux ou victime d'un traditionnel atavisme qui veut que tous les hommes mariés de sa famille soient cocu? Toujours est-il que ses craintes ne sont pas fondées, que son épouse, Marta, est effectivement vertueuse et que la lettre qu'elle lisait était bien innocente et en rien chargée de marques adultères. Pourtant, pour ce pauvre Rocco, la graine de la suspicion s'est sans doute semée dans sa tête ou est-il victime du qu'en dira-t-on, dans cette petite ville italienne traditionnelle et catholique ? Il chasse Marta son épouse qui est en même temps reniée par son père. Après la mort de celui-ci et la faillite de son entreprise, Marta assure la subsistance de sa mère et de sa soeur par un travail d'institutrice qu'elle a réussi à obtenir, mais que sa femme, même répudiée, travaille est insupportable à Rocco. Elle se heurte à la vindicte de cette petite ville, doit faire face aux excès de zèle des notables de sorte qu'elle doit déménager pour Palerme où elle a trouvé un poste d'enseignante.

    Ce roman qui est le premier écrit par Pirandello à l'âge de vingt ans se situe en Sicile où l'auteur naquit et passa sa jeunesse. Cette île restera un référence dans toute son œuvre. Il illustre cette grande interrogation sur la vie, l'individu, la société qui est une constante dans sa démarche créatrice. Durant « ce séjour involontaire sur terre » qu'est selon lui la vie, il dénonce cette incommunicabilité, cette incompréhension qui existe entre les hommes et en dénonce l'absurdité. Ce roman souligne le destin paradoxale de cette femme injustement accusée d'adultère et chassée par son mari et qui ne reconquiert son statut social qu'en se livrant effectivement à la faute qu'on lui reprochait. Ici,  les femmes sont systématiquement suspectées sans pouvoir véritablement se défendre. Dans son nouveau poste, elle est l'objet de tentatives un peu gauches de séduction de la part de ses collègues masculins autant qu'une surveillance constante de la part de son mari, malgré la répudiation qu'il a lui a imposée. Alvignani, devenu député la retrouve à Palerme et la compromet. Elle est ainsi rattrapée par le malheur. Elle représente la femme exclue parce que victime de cette société conventionnelle et conservatrice qu'elle subit et qui apparaîtra ailleurs dans son œuvre future, une véritable « étrangère »pirandellienne ». Pourtant Marta est lucide face à cette absurdité.

    Ce roman publié en 1893(remanié puis publié dans sa version définitive en 1927) porte témoignage des croyances religieuses autant que des conventions sociales qui ont cours dans cette petite ville de Sicile à cette époque. Il comporte également une étude psychologique poussée des personnages qui n'est cependant, et malgré le thème de cet ouvrage, non exempte d'humour voire d'ironie. Un texte bien écrit (bien traduit?), une peinture assez juste et pertinente de l'espèce humaine et un bon moment de lecture.


     

    © Hervé GAUTIER – Mai 2016. [http://hervegautier.e-monsite.com ]