la feuille volante

Marie Barthelet

  • Damalis

    La Feuille Volante n° 1250

    Damalis – Marie Barthelet – Buchet-Chastel.

     

    Esclave, c'est maintenant la vie de ce très jeune prince thrace, pourtant promis à un bel avenir. Survivant d'un terrible massacre, il sera vendu ou tué parce qu'il n'est plus rien qu'une vulgaire marchandise. Par chance il arrive à Milet une ville de Grèce (actuellement en Turquie) où il est acheté par une riche famille d'armateur qui lui donne son nouveau nom, Damalis, et lui, à la fois curieux et désireux de survivre, va s'adapter à sa nouvelle vie, adoptant la langue et la culture de ce peuple qui, au VII° siècle avant Jésus-Christ inventa la philosophie. Sa vie sera riche en rencontres, celle d'une hétaïre, cultivée et attentive qui va l'encourager à apprendre à lire et à écrire le grec, celle d'un potier amoureux de lui, d'un soldat attentif à la nature ou d'un maître des poisons, tous, vont être pour lui l'occasion de s'adapter à sa nouvelle vie, de mener des expériences personnelles et de devenir un esclave hors du commun. Cette courtisane, une prostituée érudite qui écrit de la poésie, une activité réservée aux hommes, sort ici de son rôle traditionnel et va l'aider à s'extraire de sa condition servile et faire de lui un lettré alors que les Grecs tenaient les Thraces pour des brutes ignares. Pourtant, pour eux, il restera un esclave soumis, un étranger, alors que lui voudra être un homme à la fois désireux de ne pas décevoir ses maîtres et d'assurer sa propre survie, fût-ce au prix d'une trahison difficile à mener cependant. Il va très vite apprendre et grâce à la chance, ou à l'action des dieux qui sans doute le protègent, être affranchi des tâches matérielles dévolues à ses semblables et profiter de l'éducation qui lui est ainsi dispensée avec l'accord de son maître. Il va même s'affirmer au sein de cette famille, devenir pédagogue, être intéressé à la gestion de la fortune du maître et ce malgré les soubresauts politiques, les trahisons et les meurtres qui agitent la cité. Cette existence, qu'il n'aurait jamais imaginée pour lui, il va la façonner comme un extraordinaire destin donnant au récit une dimension épique, ce qui se sent jusque dans le style de l'écriture de cette fiction qui a parfois des accents poétiques, une fresque antique d'où ne sont absents ni l'aventure, ni la passion, ni le rêve. C'est aussi une évocation des rapports de la servitude et de la soumission, de l’obéissance, de la chance, de l'amour même tel que le concevaient les Grecs, de la haine, du désir, de la mort, de la solitude, de la passion, de la vie…

    Les cités grecques étaient perpétuellement en guerre et Milet n'échappe pas à cette tradition ; depuis longtemps le royaume voisin de Lydie souhaite revenir à ses anciennes frontières et convoite cette riche ville portuaire. Damalis vivra lui aussi dans la hantise des combats, de leur cruauté, de la crainte d'être tué et de voir la guerre ruiner cette cité et sa propre vie, réduisant à néant ces années de fidélité et de loyauté à ses maîtres.

    L'auteure s'approprie un moment de cette histoire antique, faisant pour un temps renaître des personnages historiques et cette rivalité entre la cité de Milet et le royaume de Lydie, la transforme en une fiction, peut-être un peu longue mais passionnante, surtout à la fin. Elle replonge son lecteur dans une sorte de dépaysement, à travers un vocabulaire dédié à l'époque, des uses et coutumes, des rites et l’organisation de cette société antique. Au départ, j'ai eu un peu de mal à entrer dans ce récit, mais finalement, le livre refermé, et même si nous sommes dans une création littéraire, j'y vois, comme à chaque fois, des connotations en phase avec la réalité. La nouvelle vie d'esclave de Damalis était menacée et avait toutes les chances d'être brutalement interrompue. Grâce à ses qualités personnelles il a su se maintenir en vie dans un univers hostile, mais la chance, et aussi la rencontre de personnages pourtant étrangers, ont favorisé sa réalisation personnelle, sa survie et son ascension sociale. A la fin Damalis reprend son vrai nom, comme une transformation personnelle radicale, comme une renaissance. C'est peut-être un peu idyllique et tient de la fable, mais il ne manque pas, dans la vraie vie, de gens pour favoriser notre propre réalisation ou, au contraire, et pour des raisons bien souvent inavouables, qui œuvrent à notre destruction. Cette fresque, même si elle est imaginée s'inspire donc aussi de la réalité.

    Je remercie Babelio et les éditions Buchet-Chastel de m'avoir permis de découvrir ce livre.

     

    © Hervé GAUTIER – Mai 2018. [http://hervegautier.e-monsite.com]