la feuille volante

Etre ici est une splendeur

La Feuille Volante n°1057– Juillet 2016

ÊTRE ICI EST UNE SPLENDEURMarie Darrieussecq – P.O.L.

 

Paula Modersohn-Becker(1876-1907) était-elle de ces êtres qui sentent venir la mort ? Toujours est-il qu'à 26 ans elle avait déjà décrit ce que devait être sa tombe et n'a vécu que trente et un ans. Cela est-il dû à son côté romantique ( « La jeune fille et la mort ») ou était-elle de ces gens qui sont pressés de vivre parce qu'ils savent qu'ils mourront jeunes? Elle aimait le dessin et la peinture et quand elle quitta l'Allemagne pour l’Angleterre, alors âgée de 16 ans ce fut pour y prendre des cours de dessins. Ce fut le début de ses voyages. Plus tard, à Berlin puis à Paris où elle fait plusieurs séjours artistiques, elle s’initiera à la peinture, rencontrera le peintre paysagiste Otto Modersohn qui deviendra son mari. Auparavant elle connaîtra le sculpteur Rodin et le poète Reiner Maria Rilke avec qui elle entretiendra une longue correspondance et une amitié qui le fera hésiter longtemps. C'est pourtant une autre femme, l'amie de Paula, Clara Westhoff, une sculptrice, avec qui pourtant elle se brouillera, que l'écrivain épousera pour une union d'où l'amour sera absent. Une fois mariée avec Otto, Clara non plus ne sera pas heureuse, elle s'étiolera dans le quotidien, ne pensant qu'à sa peinture et elle qui aimait les enfants mourut à la suite de l'accouchement de sa fille Mathilde.

 

Je l'ai déjà dit dans cette chronique, j'aime lire les biographies parce que, notamment, elles dévoilent dans le détail ce que furent réellement ces hommes et ces femmes pas forcément célèbres mais qui furent oubliés de leur vivant, révèlent leurs doutes, leurs espoirs, leurs victoires comme leurs échecs, redessinent d'eux une image qui bien souvent ne correspond pas à celle qu'a choisit de retenir la postérité. L'auteure a collationné ces informations autant dans les journaux tenus par Paula et Otto que dans leur abondante correspondance.

 

Je ne connaissais pas l’œuvre de Paula Modersohn-Becker. Ce que je peux en retenir c'est son style dédié aux paysages puis plus tard aux portraits, une série de tableaux inspirés par les impressionnistes français, par Cézanne alors inconnu et les nabis. Mais surtout que c'est une des rares fois où c'est une femme qui peint des femmes, parfois leur nudité mais comme elle les voit, comme elle se voit elle-même puisqu'elle se peint nue (nue et enceinte).  Elle peint ce qu'elle voit, avec ses yeux de femme et non pas comme des modèles féminins peints par des hommes comme c'est le cas le plus fréquent. C'est en tout cas un(e) peintre qui vend peu, seulement trois tableaux de son vivant mais qui dépend des subsides de son marin, même quand elle absente du domicile conjugal. J'ai aimé la liberté de cette femme, sa soif de vivre, de peindre surtout quand elle la conjugue avec la solitude, malgré le manque d'argent, malgré la routine et la déception du mariage qu'elle finit par briser Elle y gagne un style, le sien, et dès lors sa « production » s'accélère mais sans qu'elle le sache, elle manque de temps et la mort guette !

 

J'ai peu lu Marie Darrieussecq et ce que j'en connais ne m'a pas emballé. Je suis peut-être tout simplement passé à côté de chefs-d’œuvre et cela tient sans doute à moi. Il n'empêche, j'ai lu cette biographie jusqu'au bout parce que le personnage de Paula m'intéressait, sans doute aussi parce qu'elle est morte jeune, que sa vie a été courte et que cela me semble être un gâchis au regard de ce qu'elle avait à dire. Que l'auteure ait, de son propre aveu, écrit cet hommage à cause du dernier mot prononcé par Paula, « dommage », m'interroge et m'émeut à la fois, un seul mot qui trahit la conscience de ce qui lui arrivait, un regret de la vie qui s'en va, de la vie que le destin lui volait, une impossibilité de poursuivre son parcours artistique, l'inachèvement de son œuvre... Même si aujourd'hui, après être passée sous les fourches caudines des nazis qui considérèrent sa peinture comme « dégénérée » et la destruction des bombardements, elle a son musée à Brême et une gloire posthume, comme souvent !

 

© Hervé GAUTIER – Juillet 2016. [http://hervegautier.e-monsite.com ]

 
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