la feuille volante

MO – Marie-Hélène Lafon

N°671– Août 2013.

MO – Marie-Hélène Lafon – Éditions Buchet Chastel.

Mo, c'est le prénom simplifié de ce dernier fils qui s'occupe de « la mère »[elle sera nommée comme cela durant tout le roman comme on parlera « du père » décédé quelques années auparavant]. C'est une abréviation parce qu'un autre fils Mohamed (en entier) est mort à l'âge de 13 ans, renversé par une voiture, mais Mo n'est pas là pour le remplacer. Pourtant il s'occupe seul de sa mère tyrannique, abusive et jalouse qui demeure toute la journée dans l'appartement parce qu'elle a des difficultés pour se déplacer. Il le fait de son mieux, faisant le ménage, en observant un certain rituel de chaque jour [« Le jeudi était le jour des pieds »] parce que c'est un bon fils, soigneux et attentif mais surtout parce que les autres enfants sont partis de la maison et lui ont laissé ce soin. Sa mère ne l'aime guère et ses autres frères profitent un peu de l'argent que Mo rapporte à sa mère, mais finalement tout cela lui est bien égal. Il travaille dans un centre commercial et on le cantonne à une tâche subalterne parce qu'il ne peut pas faire autre chose. Cela l'occupe et il a l'impression de servir à quelque chose. Il vit un peu dans son monde, avec ce travail sans intérêt, cette mère à demi impotente, cet appartement où il s'ennuie. Il voit quand même qu'autour de lui il y la violence, le mensonge, la trahison, la famille qui se délite surtout depuis la mort du père. Il a conscience de cela mais n'y peut rien et vit au jour le jour sans trop se poser de question en écoutant Ali, dit Jo, le vigile, lui parler de Dieu, mais de celui des Chrétiens. De là où il est, il voit Maria, une Portugaise plus jeune que lui qui est vendeuse dans une boulangerie. C'est une fille sérieuse, travailleuse, propre, appliquée et surtout célibataire. Elle est donc l'objet de tous ces fantasmes. C'est que Mo n'en est pas à son coup d'essai avec les femmes de la cité où il habitent. Elles l'aiment bien dans le quartier il a même des aventures avec certaines d'entre elles. Dès l'école où il ne fit pas vraiment des étincelles, il avait déjà du succès. En réalité, il est un peu mythomane, est sensible à la beauté du corps féminin, sans doute comme chacun d'entre nous. En réalité, à la trentaine, il est un véritable séducteur mais quand il rencontre Maria, il n'y a plus qu'elle qui compte à ses yeux. C'est une jeune fille indépendante qui vit sa vie sans entrave, aussi libre qu'il est naïf .

Il la séduit, quitte de plus en plus souvent l'appartement au grand dam de sa mère et de ses frères, finit par vouloir se construire quelque chose avec elle. Ils ont leur vie, leur jardin secret, leurs projets. Le lecteur imagine une fin heureuse, mais c'est oublier le titre et la division en quatorze stations comme le Chemin de Croix du Christ. Comme pour lui cela doit mal se terminer. Maria en eut-elle assez de Mo, a-elle choisi de lui faire de la peine en dénonçant ses fautes d'orthographe, elle qui écrivait sans en faire ? A-t-elle prononcé ces quelques mots anodins sans y penser, à cause de la fatigue ou simplement pour le taquiner ? Mo a perdu la tête, a changé de peau, est devenu un autre, abandonnant soudain ce qu'il était, tout ce à quoi il était attaché, et en premier lieu à Maria qui a peut-être fait une simple gaffe innocente en mentionnant les difficultés de son ami en français ? A travers les psalmodies du numéro de téléphone de son frère à qui il pense soudain ou la récitation quasi mécanique des ex-voto qu'il a sous les yeux, Mo pénètre dans un univers peut-être inconnu ou enfoui depuis longtemps en lui et qui va favoriser sinon provoquer son geste fatal, signature d'un retard mental ou d'une obscure maladie psychiatrique que la jeune fille n'a sans doute pas pu déceler, ou une de ces actions qu'on regrette après qu'elle sont perpétrées, une pulsion soudaine, imprévisible et inexplicable. Je ne sais pas pourquoi mais j'ai envie de prolonger l'histoire, j'imagine Mo devant la Cour d'Assises, prostré dans le box des accusés, n'osant pas regarder la famille de Maria, incapable d’expliquer son geste qui a brutalement interrompu la vie de cette jeune fille qui ne demandait qu'à vivre !

J'avoue que ce roman m'a étonné. L'écriture tout d'abord est hachée, monocorde, minimaliste, peu facile à lire, simplifiée à l’extrême sans recherche, sans beaucoup d'images. C'est un parti-pris que je respecte même si je le goûte peu. Ce roman met en scène un jeune homme d'origine maghrébine apparemment mécréant mais qu'on s'attendrait, pourquoi pas, à voir se rapprocher d'une mosquée. Au contraire, il multiplie les références catholiques jusque dans son quotidien. Quand il voit Maria servir les clients à la boulangerie, elle lui rappelle une scène de l’Évangile. Son prénom lui-même n'est pas sans rappeler celui de la mère du Christ et Mo, qui a 33 ans comme Jésus à l'âge de sa mort écoute avec admiration Ali qui a choisi Jo, comme Joseph, évoquer pour lui le Dieu des Chrétiens, la passion du Christ, sa résurrection. Mo la met en balance avec la mort d'un de ses frères. La construction du roman lui-même est divisé en quatorze stations comme une Passion christique et c'est en quelque sorte sous l'égide de Notre Dame de la Garde qu'il met un terme définitif à sa liaison amoureuse, d'ailleurs sans beaucoup d'explications. Je choisis d'y voir la marque d'un trouble mental qui habite probablement Mo depuis le début de sa vie et qui éclate ici, un choix surréaliste qu'il fait : la mort plutôt que le bonheur !

Je ne connaissais pas Marie-Hélène Lafon. Je pense que je vais quand même poursuivre la lecture de ses œuvres.

Hervé GAUTIER - Août 2013 - http://hervegautier.e-monsite.com















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