la feuille volante

Michael Edwards.

  • LE BONHEUR D'ETRE ICI – Michael Edwards

    N°655– Juillet 2013.

    LE BONHEUR D'ETRE ICI – Michael Edwards - Fayard.

    Le titre et l'objet de la réflexion de l'auteur s'articulent autour d'une citation de Claudel [« Le bonheur d'être ici »] et une autre de Baudelaire [« N'importe où hors du monde »]. Ainsi donc, le bonheur qui est l'objet légitime de la recherche de tout être humain [« Le bonheur nous hante, comme un beau souvenir ou un rêve, comme une perte et une promesse » nous dit-il en commençant son propos] est-il une utopie dans un monde déchiré par les guerres, les injustices, les luttes fratricides, la famine, les deuils... Le malheur y est donc omniprésent. L'auteur nous invite simplement, non à espérer autre chose dans une hypothétique autre vie ou un improbable ailleurs, mais à porter un regard attentif sur le réel, à nous concentrer sur émerveillement de l'instant, le spectacle du quotidien peut en effet légitimement nous inviter à suivre l'invitation de Baudelaire. A ses yeux, même la religion qui promet ce bonheur, mais dans un autre monde seulement, est blâmable. Pour lui, au contraire c'est le « ici et maintenant » qui doit retenir notre attention et monopoliser notre faculté de nous émouvoir, parce que cet instant est unique. Cela n'a rien d'intellectuel ni de méditatif dans sa démarche mais c'est au contraire une invite à une prise de conscience simplement humaine.

    Pourtant, la citation du très catholique Claudel fait référence à Dieu et à sa création mais ce qu'en retient Edwards c'est moins l'infini de l’œuvre divine que le « fini » du monde que nous avons sous les yeux. Ainsi le bonheur terrestre ne peut procéder de la foi chrétienne mais résulte surtout de l'attention que nous portons à notre entourage immédiat. Edwards suggère même que le christianisme « s'offre comme la possibilité d'avoir la vie et de l'avoir avec plus d'abondance », alors qu'on pouvait légitimement penser qu'il privilégiait le bonheur dans l'au-delà et non pas ici-bas. Être ici et maintenant peut parfaitement nous enchanter et le parti-pris de Baudelaire pourrait être tentant [« Enfer ou Ciel qu'importe, au fond de l 'inconnu pour trouver du nouveau »]. L'auteur met en prescriptive ces deux sensibilités, ces deux « impulsions » pour en tirer une sorte de leçon de vie, « pour rendre compte tant des merveilles que du malheur inépuisable du monde », pour que le bonheur se nourrisse du malheur pour rayonner et s'imposer à nous.

    C'est là une apparente contradiction qu'aux yeux de Michael Edwars, la poésie aurait pour mission de réduire, d'anéantir[« Et toute la littérature, toutes les formes d'art.. ont pour domaine, au fond, le bonheur, la recherche d'un avenir favorable »]. Il n'en veut pour preuve que l'émerveillement de Rousseau après son accident malheureux ou l'enfer de Dante où l'auteur, décrivant les épreuves des damnés éprouve du bonheur au simple souvenir du monde réel. Dès lors le poète n'est pas cet homme enfermé dans sa « tour d'ivoire », seulement occupé par ses pensées intérieures et désireux de se refaire son propre monde. Il est au contraire celui qui regarde le monde, y est sensible, garde sa faculté de s’étonner des choses les plus communes, les plus quotidiennes. Il est un voyageur du réel tel que Witman le concevait, c'est à dire, une sorte de témoin, un quêteur de Dieu, mais d'une sorte de Dieu profane détaché de tout rituel, de tout contexte de religiosité surannée et encombrée de lieux saints.;

    Ce thème de réflexion sur la poésie et sur l'art se nourrit aussi des écrits de Rousseau, de Witman, de Dante, de Proust, de la Bible et plus spécialement de l'ecclésiaste qu'il nous invite à relire [il nous invite à dépasser ce à quoi elle est souvent réduite « Vanité des vanités, tout n'est que vanité »]. Il note qu'en littérature, le malheur fait davantage recette que le bonheur et que dans la Divine Comédie, c'est toujours de « l'enfer » dont on parle. Michael Edwards fait aussi appelle à la musique de Haendel et la peinture de Manet pour finalement évoquer ce que peut être l'extase du passant sur le Pont des Arts. Dans toute œuvre d'art, c'est l'instant qui est célébré, dans toute sa simplicité et donc toute sa beauté. Chez les impressionnistes, il retrouve le plaisir de l'instant, figé sous le pinceau de l'artiste. Ce mouvement est à la fois une manière différente de peindre et une volonté de rendre compte d'un certain art de vivre puisque la plupart de leurs tableaux est associé à des lieux de distraction ou de farniente ;

    C'est donc un ouvrage riche, plein de sensibilité, de culture, de poésie mais surtout un hymne au réel, au quotidien que l'auteur propose à notre réflexion pour sortir d'un monde où chaque jour nous invite au contraire à la déprime, à la désolation. Un très beau texte donc, un brillant travail universitaire, un thème de réflexion intéressant, même s'il semble à priori paradoxale et parfois un peu trop érudit pour le commun des mortels, mais peu importe, ce livre résulte des cours que l'auteur donne au collège de France où il enseigne... même si, à titre personnel, je ne partage pas son point de vue.

    © Hervé GAUTIER - Juillet 2013 - http://hervegautier.e-monsite.com









  • RIVAGE MOBILE – Michael Edwards

    N°656– Juillet 2013.

    RIVAGE MOBILE – Michael Edwards - Arfuyen.

    C'est un cas bien intéressant que celui-là puisque l'auteur écrit des poèmes directement en anglais et les traduit en français. Ce recueil est donc une édition bilingue. Cette « opération » n'est, en elle-même pas banale mais, sous la plume de l'auteur, c'est moins une traduction qu'une véritable recréation [« A travailler le poème français, à observer sa façon autre de faire résonner et de changer le moi, le monde, je suis venu aussi, parfois, à modifier ou à récrire entièrement le poème anglais » confesse-t-il]. On a beaucoup associé le mot « trahison » au mot « traduction » surtout quand ce travail est effectué par un tiers, si complice soit-il avec l'auteur. Dans la traduction, non seulement les mots se dérobent parfois, leur sens prend des chemins détournés, mais la personnalité et celle de son traducteur sont nécessairement différentes, les sensibilités parfois éloignées... Effectivement les langues sont dissemblables mais aussi les règles de prosodies ne sont pas les mêmes. Ici, tout cela n'existe pas puisque Michael Edwards écrit en français sous la forme libre et prend prétexte d'un des des poèmes qu'il a personnellement écrit en anglais, sa langue maternelle, pour le repenser et et le récrire en français. C'est ainsi par exemple que le texte intitulé « Gravestone », p66-67, exprimé en anglais avec une grande économie de mots, une remarquable concision, donne en français « Pierre tombale », un poème beaucoup plus long, plus poétique, une vrai réflexion sur la mort, sur la condition humaine, une occasion aussi de « jouer » sur les mots (Humour, Humus, Humble). Dans ce recueil on mesure plus aisément les avantages de cette double culture de l'auteur.

    Dès lors, les mots prennent un sens nouveau, différent, enrichi peut-être, paradoxale parfois en passant d'une langue à l'autre[ dans le poème « On meaning », « Du sens » en français », le tilleul anglais devient le platane plus dans le décor français, le message a une autre ampleur, le texte une autre dimension, le rythme un autre balancement à cause des allitérations et de l'enjambement. N'oublions pas que la langue anglaise est accentuée et que le français l'est beaucoup moins ce qui se traduit pas une musique forcément transformée. C'est d'autant plus sensible quand le lecteur lit à haute voix ces textes dans les deux versions, ce qui n'est pas sans instiller une sorte d'étrangeté due sans doute aux techniques poétiques différentes ou à un univers pourtant familier mais finalement dessiné autrement [le poème, « Lines », p76-77 qui en français est traduit par « Du vers », me semble à ce propos significatif ].

    Un simple déménagement devient sous sa plume une maison qui bouge [« Moving house » p 8 et suivantes], comme les êtres, avec à la fois l'idée du vide, du changement, de la transition, l'image de la vanité des choses humaines, le parallèle avec les êtres qui l'ont habitée. A travers les mots, il y a un hymne à l'instant, à la fois fugace, unique et perpétuellement reproduit [« La mer par la force électrique du clair de lune frissonne... Le phare folle girouette du rivage ferme les yeux...Les oiseaux illuminés de la ville vont leur cage, et dresse la carte des longues courbes de la terre sous un soleil qui tourne le monde dans sa tête »p.23] , une vision éphémère et porteuse d'émotion et d'amour [« Des murmures descendent sur ton livre ouvert par une odeur de pomme...Le jardin respire le vent caresse tes feuilles, ta robe »p.63]. Je ne puis m'empêcher de faire le rapprochement avec « Le bonheur d'être ici », thème qui est cher à l'auteur. Il l'habite par le spectacle du réel et c'est pour lui l’invitation à un moment d'exception dont il faut jouir simplement. Écouter, voir, maintenir tous ses sens en éveil pour la richesse de l'instant et la célébration de la vie dans ce qu'elle a d'éphémère et d'éternel. [« La pierre et la jeune fille »p.33], telle est sans doute la leçon de ces poèmes.

    Le texte poétique, sans doute plus que celui écrit en prose, se prête davantage à l'interprétation personnelle, s'ouvre à la sensibilité intime du lecteur, laisse libre cours à son imagination.[« Nous entendions une autre voix qui n'était pas la votre seulement mais le son humain, votre voix véritable, arrivant vers nous d'un monde plus lointain. » in « The voice » p.68-69]. Si nous y prêtons attention, les mots se chargent de sens pour célébrer simplement la pierre, l'eau, les feuilles, le vent, la lumière parce que tout cela vit en eux et par eux.

    Nous sommes au quotidien entourés d'images parfois agressives et de paroles « orales » qui ne le sont pas moins. Pour ma part, je suis toujours étonné par l'univers des mots écrits, apaisants et ouverts à l'interprétation personnelle que sont les poèmes. Un recueil de ces textes peut paraître anachronique, voire inutile dans cette société tournée vers le rendement, l'efficacité entendue sur le seul plan économique, il n'en est pas moins, à mes yeux, un moment d'exception, un jalon, l'occasion de voir le monde autrement.

    La lecture attentive de cette poésie a été pour moi l'occasion de renouer avec ce qui a été la raison d'être initiale de cette revue.

    © Hervé GAUTIER - Juillet 2013 - http://hervegautier.e-monsite.com









  • Quelques mots sur Michael Edwards

    N°629– Février 2013.

    Quelques mots sur Michael Edwards.

    Entre les frasques franco-russes de Gérard Depardieu, les velléités politico-promotionnelles de Ségolène Royal, la viande de cheval qui devient du bœuf et l’hypothétique redressement de nos finances publiques, un fait important est sûrement passé inaperçu : c'est l'élection à L’Académie française de Michael Edwards.

    Ce n'est pas la première fois que notre académie ouvre ses portes à un écrivain étranger d'expression française. Elle avait déjà honoré d'une élection Marguerite Yourcenar en 1980. Cette année, Michael Edwards, né en 1938 près de Londres est en effet citoyen britannique mais bénéficie de la double nationalité. Docteur de l'université de Cambridge, il est l’auteur de plusieurs essais sur Shakespeare. Marié à une française, il enseigne dans de prestigieux établissements tels que notamment le Collège de France et l’École Normale supérieure de la rue l'Ulm. Il a choisi de décliner une grande partie de son œuvre littéraire dans notre langue.

    Après une thèse sur Racine, dans les années 60, il enseigne la littérature française à l'université de Warwick et se lie avec des poètes anglais et français, ce qui lui permet d'avoir une vision personnelle sur ces deux expressions poétiques.

    Le 21 février dernier, il a été élu au fauteuil de Jean Dutour (fauteuil 31). C'était la troisième fois qu'il se présentait.

    Il est également poète et critique littéraire, témoin d'exception de la culture anglaise et française, à la fois spécialiste de Shakespeare, de T.S Eliot mais aussi de Baudelaire, de Racine ou d'Yves Bonnefoy.

    Il a cette extraordinaire faculté de s'émerveiller de l'instant et du lieu, même les plus anodins, comme savent le faire les poètes face au spectacle du monde, en exacte opposition avec la vision traditionnelle du l'habitant de "la tour d'ivoire", enfermé dans ses pensées et dans son monde intérieur. Il jette sur le spectacle de la vie un regard à la fois neuf et étonné, aussi attentif à la vision des beautés de Paris qu'à la moindre des choses du quotidien. Dans une société où tout va trop vite et surtout de travers, où les choses s'apprécient de plus en plus à l'aune de leur valeur commerciale et financière, c'est plutôt rassurant de l'entendre parler de culture et de littérature.

    "La vie est un rêve dont il faut sans cesse se réveiller" rappelle-t-il, une invitation à le suivre dans l'enchantement permanent qui est le sien, dans sa démarche de l'observation des choses. Il le dit aussi simplement que cela en évoquant"Le bonheur d'être ici".

    Écrivain à la fois de langue française et anglaise, il n'en est pas pour autant un traducteur puisqu' aussi bien, lorsque, ayant écrit un poème en anglais, la version française qu'il en donne est non pas une traduction mais une véritable création nouvelle.

    Bien entendu, cette chronique restera passionnément attentive à l’œuvre de Michael Edwards.

    ©Hervé GAUTIER – Févrer 2013.http://hervegautier.e-monsite.com