la feuille volante

Michel Sapanet

  • En direct de la morgue

    N°1752 – Juin 2023

     

    En direct de la morgue – Michel Sapanet - Plon.

    Sous ce titre peu engageant, digne d’un polar, l’auteur, également médecin- légiste, évoque son métier qui l’amène parfois à faire entrer son lecteur dans une dimension insoupçonnée, témoin le récit ouvrant ce qu’on peut appeler ce recueil de nouvelles, qui tient davantage du « Jugement de Dieu »médiéval que de la science, mais pourquoi pas ? Le Docteur Sapanet, que rien ne prédisposait à l’écriture, y est arrivé un peu par hasard et ce métier d’expert judiciare, assez loin de ses rêves de carabin, s’est aussi imposé à lui. Vous avez dit destin ?

    Voilà donc son quatrième opus où il invite son lecteur à plonger à sa suite à la fois dans les turpitudes humaines et dans un domaine qui nous inquiète et nous fascine par le mystère qu’il porte en lui, la mort. Il est en effet un maillon essentiel de la justice et lui apporte ses lumières en faisant parler les morts qui en principe sont muets, dénoue le vrai du faux, distingue un suicide d’un assassinat, participe à la manifestation de la vérité en remettant éventuellement en cause la sacro-sainte « présomption d’innocence » qui protège les criminels. En effet, pour ceux qui sont mis en examen par l’autorité judiciaire, il y a non seulement une privation de liberté avec tout ce qu’elle implique mais aussi l’opprobre d’être un repris de justice. Quand le légiste intervient c’est à la demande des magistrats parce que la Camarde a fait son office tout en laissant derrière elle des interrogations qu’il sera chargé d’éclaircir. C’est en effet du grand art de révéler les derniers instants du mort et de combattre les évidences. De ses conclusions dépendront les orientations des investigations des enquêteurs et les suite d’un éventuels procès

    Le mouvement qui caractérise la vie est rassurant et l’immobilité d’un corps suffit à provoquer chez nous une réaction d’angoisse qui est souvent motivée par la peur de la mort et il n’y a gère que le sommeil, par son côté réparateur , apaisant et temporaire qui nous fait accepter cette inertie. La mort a quelque chose de révoltant non seulement parce qu’elle interrompt, parfois violemment ou douloureusement, le cours de la vie mais aussi parce qu’elle porte en elle une charge de secrets et de mystères que les religions, avec plus ou moins de succès, s’efforcent d’atténuer. Elle nous rappelle, par sa marque même, que nous ne sommes que de passage, victimes de notre commune condition humaine, simples usufruitiers de notre vie qui peut nous être enlevée sans aucun préavis, ce qui devrait relativiser les choses. C’est en tout cas pour lui, à chaque fois, l’occasion d’approcher les turpitudes humaines que des générations de philosophes naïfs ont voulu nous faire oublier. L’agressivité qui habite chacun d’entre nous, heureusement pas toujours mise en œuvre, témoigne de notre volonté de supprimer d’une manière ou d’une autre un concurrent gênant. Le climat de violence qui anime nos sociétés depuis la nuit des temps et qui se manifeste actuellement avec plus d’acuité, en témoigne.

    Il n’empêche, il a une position privilégiée pour observer cette nature humaine peu fréquentable et qui déroule devant ses yeux ses énormes possibilités de nuisance, depuis la simple auto-permissivité jusqu’au crime, en passant par le vice, les pratiques sado-maso… l’imagination des délinquants n’a d’égal que leur volonté de nuire à leur prochain.

    Certes, à l’inverse de ses malades que le praticien soigne, les clients (une sorte très particulière de patients) du docteur Sapanet ne se plaindront guère, nonobstant ce qu’il leur fait subir. Ce contexte de morbidité permanente doit quand même avoir quelque chose de déprimant pour lui. Il y a certes l’habitude et la routine qui lui permettent de s’extraire d’une réalité quotidienne qui bouleverserait le commun des mortels, les nécessités d’un métier qu’il aime et qui est indispensable à la justice, mais quand même. Apparemment notre auteur y oppose l’écriture qui est un formidable moyen d’exorcisation. Ce ne sont, pourrait on dire, que du vent, que des mots, mais leur pouvoir cathartique est une réalité d’autant plus efficace qu’ils se teintent d’humour qui est une manière supplémentaire de nous faire accepter la noirceur des choses de cette vie qui, dans son domaine, est bien réel. Oui, rire (ou sourire) des choses au lieu de se laisser aller à en pleurer est aussi une arme efficace ! Il y ajoute l’art culinaire dont le résultat est un des plaisirs de cette vie, même si cuisiner des viandes est aussi rester d’une certaine manière, dans le domaine de la mort, celle de l’animal qu’éventuellement il chasse. Cela ne l’éloigne pourtant pas beaucoup de son métier puisque que, la cuisine étant aussi de la chimie, les réactions qui se manifestent post-mortem remettent souvent en cause les évidences policières. Et puis son imagination est sans limite quand il se projette dans un avenir peut-être pas si lointain qui ressemblerait, comme il le dit, à une « médecine légale 2,0 » qui allégerait ses tâches mais menacerait son poste.

    Ce n’est pas la première fois que je lis Michel Sapanet dont je goûte avec plaisir son style et sa façon de montrer les choses qui, au départ se présentent assez mal, un peu comme le titre peu engageant de ce livre. Il y a certes l’aspect technique auquel je suis complètement imperméable mais j’y ai retrouvé cet humour né parfois de situations inattendues qui bien souvent dans nos vies nous aide à en supporter les vicissitudes et les épreuves et cela a été pour moi un bon moment de lecture.


     

  • Autopsies

    N°1709– Janvier 2023

     

    Autopsies – Michel Sapanet - Plon.

     

    Sous ce titre peu engageant, le docteur Sapanet énumère les affaires où la perspicacité du médecin légiste a permis de requalifier un accident en meurtre ou inversement. Son travail est donc essentiel puisqu’il concourt à la manifestation de la vérité et donc à une meilleure justice. Il doit procéder aux premières constations qui éventuellement mettront en route la machine judiciaire, faire parler les plus petits indices et les corps désormais sans vie, déterminer l’heure de la mort, ce qui n’est pas aisé, analyser le sang et les traces d’ADN … De tout cela dépendent l’efficacité de l’enquête, la pertinence des investigations des policiers et contribue à forger « l’intime conviction » des jurés d’assises si toutefois la mort qu’il vient de constater est assez suspecte et inexpliquée pour faire naître un « obstacle médico-légal » au permis d’inhumer. 

     

    L’autopsie est une violence faite au corps même si elle est effectuée post mortem et l’auteur considère que les cadavres qu’il doit faire parler dans le silence de l’institut médico-légal sont aussi ses « patients » dans la mesure où, peu de temps avant de se trouver sur cette table de dissection, ils étaient des êtres qui vivaient et aimaient. Au moins ces derniers ne se plaindront pas comme c’est devenu de plus en plus le cas pour la médecine des vivants et si la pénurie actuelle de médecins se fait sentir, on ne se bouscule pas non plus dans la spécialité de médecine légale. En outre la disponibilité est aussi une caractéristique de la profession puisqu’il faut répondre « aux sollicitations souvent nocturnes des procureurs pour une levée de corps » et que les légistes sont à leurs ordres en ce qui concerne les autopsies. Les praticiens qui sont aussi des experts sont également confrontés dans les prétoires aux magistrats, aux avocats... et à leurs questions. Les jugements et autres arrêts en dépendent.

     

    Le travail du légiste est d’être en quasi permanence confronté à la mort, dans son cas souvent violente. Cela nous rappelle une évidence, non seulement qu’elle est la fin de la vie, que dès lors que nous naissons nous sommes condamnés à mourir mais aussi que notre vie est unique, précaire, fragile et que, contrairement à une idée reçue, nous n’en sommes pas les propriétaires mais les simples usufruitiers, c’est à dire qu’elle peut nous être enlevée sans préavis et dans des circonstances que nous ne pouvons, dans la presque totalité des cas, pas prévoir. Une autre évidence aussi, que l’homme est capable du pire comme du meilleur, mais bien souvent du pire et que ce pire s’exerce fréquemment sur ses proches qu’il est censé aimer et protéger ou sur les plus vulnérables et que sa capacité de nuisance, distribuant autour de lui la souffrance et la mort, est bien supérieure à celle qu’il a de faire le bien. Cela confirme ma certitude que l’espèce humaine n’est pas décidément fréquentable, et nous en faisons tous partie !

     

    Ce sont des chroniques comme l’indique le sous-titre, ce qui donne à penser que le lecteur va être confronté à une froide évocation de la douleur et surtout de la violence qui caractérise l’espèce humaine, Que nenni, cela se lit comme un roman, avec des précisions documentaires très pointues où se révèle le pédagogue, normal, en plus d’être médecin légiste il est aussi maître de conférence à la faculté de médecine de Poitiers. Cela nous rappelle que la belle région Poitou-Charente, caractérisée entre autre par son art de vivre, n’est pas épargnée par le crime (pourquoi le serait-elle ?) . Il raconte avec talent des histoires où il est intervenu et y ajoute des remarques pertinentes, quelques pointes d’humour et, c’est original, des recettes de cuisine. C’est même plein de renseignements pour qui se pique d’écrire des romans policiers ou a des velléités de se débarrasser de son prochain en évitant les tribunaux. Oui mais voilà, le légiste veille et chaque détail compte, même si l’autopsie n’est pas, souvent pour des raisons budgétaires, un point de passage obligé. Quand il subsiste un doute, il met un point d’honneur à prononcer pour lui-même et pour les enquêteurs la traditionnelle phrase : « L’autopsie le dira ! » car il y a toujours une explication, même si elle est inattendue et il ne faut jamais s’en tenir aux évidences.

    Pour autant l’auteur note que l’imagerie médicale faisant d’énormes progrès, l’autopsie virtuelle( la virtopsie) qui n’en est qu’à ses début pourra à terme prendre le pas sur l’ouverture d’un corps dans la mesure où elle n’est pas destructrice.

     

    Le docteur Sapanet réussit à transformer ce qui au départ pouvait être rébarbatif compte tenu du sujet, en un agréable moment. J’ai appris beaucoup de choses intéressantes dans cet ouvrage, c’est bien écrit et j’ai même beaucoup souri lors de ma lecture.

     

     

     

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