la feuille volante

DE SI BRAVES GARCONS – Patrick MODIANO

N°710 - Décembre 2013.

DE SI BRAVES GARCONS – Patrick MODIANO – Gallimard (1982)

L’hypothétique lecteur de cette chronique ne manquera pas de s'apercevoir que j'apprécie l’écriture de Patrick Modiano. Si c'est un réel plaisir de le lire, il n'en reste pas moins qu'il est rare que je me sente à ce point concerné par un roman. Je n'ai pas connu ce collège de Valvert où il a rencontré « de si braves garçons, plus ou moins abandonnés par leurs familles, des gens riches ou ruinés, instables, cosmopolites, suspects... » mais j'ai été, pendant de nombreuses années de mon enfance, l'élève d'un collège maintenant détruit. J'y ai passé malgré moi des années qui auraient pu être les meilleures de ma vie mais qui sont pour cela devenues un enfer. Comme ce Michel Karvé j'ai été abandonné dans une pension aux murs trop hauts, aux messes trop longues par des parents indifférents à mon sort. Il aurait pu m'arriver n'importe quoi, cela n'aurait guère troublé leur quiétude, leurs habitudes, leur vie agréable. Ils avaient les moyens de subvenir à mes modestes besoins mais ils avaient surtout hâte de me voir quitter la maison pour que je libère ma chambre-placard simplement pour faire de la place et surtout pour que je disparaisse de leur vie. Quand j'ai fini par faire ce qu'ils voulaient, j'ai senti que mon initiative, si longtemps désirée, était la bienvenue.

Ces considérations personnelles mises à part le narrateur qui porte dans l'un des récits le prénom de Patrick, ressemble fort à l'auteur et nous convie, dans ce recueil de 14 nouvelles, car c'est bien d'un recueil de nouvelles dont il s'agit, à l'évocation, à travers certains des anciens pensionnaires aussi flamboyants que mystérieux de ce collège de Valvert où règne une disciple quasi militaire. Il met en scène, sous l'égide de Jeanschmidt, dit Pedro, son emblématique directeur ainsi que quelques-uns de de ses anciens professeurs, de nombreux élèves qui l'ont fréquenté et qu'il retrouve longtemps après. Nombres de ces figures qui sont évoquées, comme celle de Sonia, la mère énigmatique et évanescente de « La Petite Bijou » dont il reparlera dans un autre roman, ne font que passer, d'autres y impriment une marque originale tel ce Bob Mc Fowles qui dans une sorte de folie voyait la mer à Versailles, Daniel Desoto qui, malgré la richesse de ses parents resta un enfant irresponsable ou Philippe Yotland qui lui aussi fut renvoyé de Valvert mais continua de jeter sa gourme pour être gagné, avec le temps, par une sorte de mélancolie.

Il met toujours en scène une jeunesse dorée qui sied bien à ce collège pour notables fortunés qui accueille des jeunes gens à qui on souhaite donner une sorte de vernis mais qui finalement se laissent gagner par la facilité, le pouvoir de l’argent, l'insouciance, un peu comme si le message éducatif ne passait pas. Le narrateur lui reste en retrait, presque dans l'ombre, comme toujours simple témoin qui se contente de rendre compte pour son lecteur de ce qu'il voit ou qu'il imagine. Les rencontres qu'il fait, parfois vingt ans après, des ces « si braves garçons » donnent lieu à des incontournables évocations de leur jeunesse mais le temps a passé pour tout le monde et les discours sont pleins d'explications qui ne viennent jamais, de mystères et de non-dits. Il parle parfois de lui, mais somme toute assez peu, se contentant notamment une fois de « confesser » être amoureux d'une jeune fille qui malheureusement lui échappe ou de confier un épisode court de sa vie.

Dans tous ces textes il y a un délicat parfum de nostalgie, de celle qui naît du temps qui passe et pour moi c'est toujours un agréable moment de lecture.

©Hervé GAUTIER – Décembre 2013 - http://hervegautier.e-monsite.com

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