la feuille volante

Un pedigree

La Feuille Volante n° 1215

Un pedigree Patrick Modiano - Folio.

 

D'emblée, le titre peut étonner même pour quelqu'un qui, dans son œuvre, sinon dans sa vie, a toujours été à la recherche de ses origines. Ce terme s'applique cependant davantage à un animal qu'à un homme même si, au tout début, il donne lui-même le ton « Je suis un chien qui fait semblant d'avoir un pedigree ». Quand il explore sa généalogie, les origines de ses parents et en particulier de son père, il tombe sur des maîtresses plus ou moins exotiques, sur de la collaboration aux relents de mafia, une parenté juive matinée de Toscane, le tout hanté par des fantômes interlopes du marchés noir, des arrestations et des fuites du temps de l'Occupation, bref des racines troubles et obscures qui déboucheront sur son enfance et son adolescence placées sous le signe de l'abandon et du mystère. Est-ce pour échapper à cette période troublée ou simplement pour obéir à un impératif de liberté que son père et sa mère mènent une vie aventureuse chacun de leur côté, loin de Patrick, le narrateur et de son frère Rudy dans l'existence de qui s'invitent des noms connus mais rarement la présence de leurs parents ? A travers les mots, on sent que les deux enfants sont livrés à eux-mêmes, confiés au gré des occasions à des étrangers, à des religieux catholiques ou à un pensionnat aux allures militaires, qui se chargent de leur subsistance, de leur survie et de leur éducation, avec, en contre-champs ces parents plus ou moins impliqués dans les affaires louches, plus ou moins poursuivis par la justice. On le sent désireux d'aimer cette mère et ce père lointains (pourtant s'il révèle de prénom de son père, il ne mentionne jamais celui de sa mère), mais en face il ne trouve qu'indifférence et même transparence et après la mort de son frère il se sent encore plus seul et déstabilisé, devient fugueur, voleur. Sa mère est comédienne, absente de sa vie et elle n'existe pour lui que dans des lettres très épisodiques qui résonnent pour moi comme quelque chose de faux, surtout quand elle affirme qu'elle pense à lui. A titre personnel, cela me rappelle quelque chose de précis. Son père est un affairiste semblant toujours être en marge de l'honnêteté voire de la légalité. Il semble porter quelque intérêt à ce fils lointain, le gratifiant de balades, parfois de maigres subsides, lui prodiguant conseils, encouragements à obtenir des diplômes pour son avenir. De tout cela, il me semble qu'il ressorte une grande solitude pour le narrateur. Il est enfermé dans un collège catholique aux méthodes d'un autre âge, entre rituels religieux obligatoires, quotidien spartiate et intolérance révoltante, comme c'était le lot des enfants dont leurs parents voulaient se débarrasser et se réfugie un peu au hasard dans le cinéma, les bandes dessinées au début, puis ensuite dans la lecture de romans et de poèmes. Son approche de la littérature grâce à la fréquentation des bons auteurs lui donneront le goût de la culture, de l'écriture et formeront son style.

 

Puis c'est la spirale ordinaire d'un couple qui n'en a jamais été vraiment un et qui finit par divorcer, avec au milieu ce pauvre garçon encore mineur, confié à sa mère parce que c'était l'usage à l'époque. Entre les deux ex-époux qui le prennent à témoin de leur déchirements, il ne sait pas vraiment où se situer ni à qui se confier, avec en prime une période où il connaît la gène et même la dèche et qu'en même temps naissent en lui des rêves balzaciens. A cette époque il a l'intuition que l'écriture peut palier ce manque affectif, qu'elle peut-être, ce qu'elle est souvent dans ce genre de cas, une catharsis.

 

Selon son habitude, Patrick Modiano continue d'explorer à la fois le temps passé, celui qui donne le vertige quand on prend conscience de toutes ces années enfuies, de tout ce qu'on n'a pas fait, de tout ce qu'on aurait pu faire mais qu'on n'a pas pu ou pas osé et de cette jeunesse qui a été celle d'un garçon livré à lui-même, qui se cherchait, qui n'avait pas de véritable point d'ancrage à quoi se raccrocher. Pour lui vient enfin la majorité, l'ancienne, celle qu'on n'avait pas avant 21 ans, et qui est pour lui comme une libération. Il ne sera plus celui qu'on exile, celui dont on souhaite se séparer, celui qui connaît les pensionnats et les villes lointaines…

 

Celui qu'on a qualifié de Marcel Proust moderne eu égard à la recherche qu'il mène sur lui-même, pose une nouvelle fois une pièce à ce puzzle qui ainsi forme cette image un peu floue mais parlante, attachante en tout cas, pour qui sait l'apprécier. Ce texte est un jalon supplémentaire dans cette quête intime de son enfance et de son adolescence, deux périodes dont on ne guérit jamais complètement.

 

© Hervé GAUTIER – Février 2018. [http://hervegautier.e-monsite.com]

 
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