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la feuille volante

Romances sans paroles

Romances sans paroles. Verlaine - N°1456 Avril 2020

 

Le titre tout d’abord est paradoxale. Une romance est une pièce poétique simple, populaire sur un sujet sentimental. Ici le terme est au pluriel et on peut toujours considérer que chaque poème est une romance. Il y a un aspect musical dans la romance et, s’agissant de Verlaine qui met « la musique avant toute chose » et dont la mélodie du vers n’est plus à démontrer, cela tombe plutôt bien. Quant aux paroles, elles sont bien là…Le titre est emprunté à une œuvre de Mendelssohn, reprend un vers des « Fêtes galantes » (A Clymène) mais sa publication initiale est plutôt passée inaperçue. Sa réédition en 1887 eut davantage d’audience.

Ces poèmes publiés en1874 ont été écrits en 1872 et 1873, c’est à dire à l’époque où il quitte son foyer malgré son récent mariage avec Mathilde et entame sa folle épopée avec Raimbaud sur qui il tire deux coups de pistolet, ce qui l’envoie en prison pour deux ans à Mons. C’est d’ailleurs dans sa cellule qu’il reçoit les premiers exemplaires de ce recueil.

Ces textes épousent l’itinéraire de ces deux poètes quelque peu marginaux, retracent leur épopée amoureuse (« Ariettes oubliées ») avec peut-être un peu de regret de celle qu’il a abandonnée (VII) et dont il souhaite de pardon (IV) On peut même voir dans la V° une allusion à peine voilée au piano dont jouait sa belle-mère, férue de musique et sûrement aussi à Mathilde. Il parle d’ailleurs du « boudoir longtemps parfumé d’Elle ». Regrette-il à ce moment ce foyer dont il a tant rêvé dans « La bonne chanson » ? Dans la VII° « O triste triste était mon âme, A cause à cause d’une femme » on peut y voir la marque de ce remords, de cette volonté de solliciter son aide, peut-être ? Ces textes portent la marque du talent et de l’influence de son ami notamment lorsque Verlaine dans la VI° évoque « le chien de Jean Nivelle », Rimbaud lui ayant communiqué son goût pour les chansons populaires. Verlaine abandonne ici l’esthétique du Parnasse qui lui servit de boussole à ses débuts.

Comme une transition avec ce qui va suivre, ces ariettes se terminent sur des descriptions de paysages. C’est en effet l’évocation des villes de Walcourt, de Charleroi, de Bruxelles et de Malines qui témoigne de leur itinéraire belge. L’Angleterre lui succédera. Voilà que Mathilde, en juillet 1872, part pour Bruxelles accompagnée de sa mère dans le but évident de reconquérir son mari ; « Birds at night » relate cette entrevue dans un hôtel puis dans un dans un jardin public, Verlaine lui réitère son amour, l’accuse un peu de ne l’avoir pas compris («  Vous qui fûtes ma Belle, ma Chérie, encor que de vous vienne ma souffrance ») , l’invective même dans « Child wife », justifie sa fuite et la quitte. Avec « Aquarelle » il est en Angleterre et il écrit encore pour Mathilde, mais le destin est en marche et il est implacable !

De tout ce recueil Verlaine fait entendre la musique de son vers, son aspect « impair », ses descriptions, les couleurs quelque peu estompées et qu’on peut apparenter à l’ « impressionnisme » . Pour autant, j’en retire une sorte d’impression assez malsaine où Verlaine exprime son désarroi devant les choses d’une vie dans laquelle il a du mal à se glisser. Il relate un parcours un peu chaotique, ses amours avec Rimbaud et ceux avec Mathilde, une situation assez ambiguë, une unité assez difficile à trouver qui témoigne de son mal-être. Il n’abandonne pas la rime adopte des métriques différentes, parfois même étonnantes ce qui montre sa soif de liberté dans le domaine de la poésie comme il l’exprime dans son « Art poétique ». Cela annonce le vers libre qui s’épanouira plus tard, mais il reste sur cette position assez traditionnelle. Cette époque d’après la Commune, correspond à sa rupture avec le Parnasse. Pour autant il émane de ces textes une immense tristesse, celle peut-être de n’avoir pas sa place en ce monde, celle peut-être d’avoir définitivement perdu Mathilde même s’il n’était pas très sûr de l’aimer, triste de voir l’escapade amoureuse avec Rimbaud tourner court, triste peut-être de ne plus être capable d’aimer personne et de n’être pas capable de dominer la violence qu’il porte en lui et de ne pouvoir que s’abandonner à ses démons.

 

 
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