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la feuille volante

Dîner à Montréal

N°1583 - Septembre 2021

 

Dîner à Montréal – Philippe Besson - Juillard

 

D’emblée l’auteur tient à informer son lecteur fidèle que ce roman se réfère à un personnage déjà rencontré dans un ouvrage précédent, Paul Darrigrand. Cette chronique s’en est fait l’écho comme d’ailleurs une grande partie de l’œuvre de Philippe Besson.

Disons le tout de suite, bien que ce ne soit pas essentiel, il y a dans ce récit une unité de lieu, de temps et d’action ou plus exactement d’inaction puisque il ne s’agit que d’arguments échangés, de moments évoqués. D’autre part Philippe Besson fait partie de ses écrivains qui pratiquent le solipsisme, qu’il a choisi de faire de sa propre vie un roman, c’est à dire de nous faire partager ses émois, ses fantasmes, ses peurs. D’ailleurs il se met lui-même en scène et parle à la première personne. Il ne se contente donc pas de relater des faits mais cherche en permanence à les analyser à la lumière de sa propre sensibilité avec la subtilité qu’on lui connaît. Ainsi entre Philippe et Paul y a-t-il quelque chose de subtilement caché ou d’à peine révélé. Pourtant il nous rappelle que ce qu’il raconte est rigoureusement exact pour, plusieurs pages plus loin, apporter une nuance de contradiction. Mais il est un fait que, pour un écrivain, un bouleversement intervenu dans sa vie donne souvent un livre c’est à dire que les mots sont un exorcisme, un exutoire et que l’écriture lui offre cette extraordinaire occasion de digérer un échec ou de remodeler la réalité. Il aborde le phénomène de l’écriture, disserte sur la responsabilité de l’écrivain au regard de ce qu’il écrit, assume ses choix et le fait dans un style fluide et agréable à lire où la qualité de l’écriture le dispute à l’analyse des sensations et des sentiments. Même si je n’ai pas toujours partagé ses thèmes favoris, ses romans ont toujours correspondu à un bon moment de lecture.

 

Philippe, 40 ans, est donc à Montréal pour la promotion d’un de ses livres en compagnie d’Antoine de vingt ans son cadet. Il rencontre par hasard, alors qu’il effectue une signature dans une librairie (mais est-ce vraiment par hasard?) Paul son ancien amant, marié à Isabelle, père de famille et bien établi dans la vie. Un restaurant les accueillera les deux couples pour célébrer ces retrouvailles. Ce sera donc un dîner à quatre convives comme le suggère la couverture. On peut dès lors se demander pourquoi Isabelle a accepté cette rencontre amicale puisqu’elle porte en elle un germe potentiellement destructeur à cause des souvenirs communs des deux hommes. Ils ont été heureux ensemble mais ils se sont quittés et dix-huit ans ont passé depuis ces amours de jeunesse, de quoi avoir le vertige à cause du temps qui fuit. Entre Philippe et Paul, le dialogue s’engage au départ avec pour thème ces années, ces deux parcours, ces deux réussites et, en filigrane, l’activité littéraire de Philippe, le sida des années 90 et leurs menaces... Mais entre eux on sent rapidement une sorte de gêne, des non-dits, des sous-entendus, des retenues, de fuites et même des mensonges, et ce, pas seulement à cause de l’épouse et de l’ami. Plus on évoque les souvenirs communs et plus ça devient ambigu. Dans cette rencontre qui ressemble à une sorte de confrontation, Isabelle et Antoine font de la figuration au début mais rapidement Isabelle, méfiante, reste sur la défensive et cherche à éluder ce qui peut rapprocher les deux ex-amants, évitant ou voulant éviter que le dialogue entre eux ne devienne gênant voire impudique. A mes yeux elle incarne une certaine morale bourgeoise et hypocrite qui ne veut rien savoir du passé de son mari et surtout qui craint pour la solidité de ce qu’elle a bâti avec lui. Antoine, au contraire, à cause de son jeune âge ou de sa désinvolture naturelle, met carrément les pieds dans le plat et les agite en évoquant ce qui peut déstabiliser Paul et surtout Philippe qui est celui qui a choisi de formaliser ses expériences intimes. Après tout c’est lui l’écrivain, c’est à dire un homme qui choisit de livrer son histoire au premier lecteur venu qui va le juger, qui doit accepter par avance les critiques parfois douloureuses à entendre de la part de gens qui refusent de voir qu’il s’est livré à la page blanche avec ses fêlures et ses fantasmes qui parfois peuvent choquer. Ce dernier est même sommé de s’expliquer sur la genèse de certains de ses romans et il est permis de s’interroger sur l’attitude d’Antoine au regard de sa relation avec Philippe dont les romans parlent souvent de ruptures. Sera-t-il lui aussi rejeté au rang de simple passade anecdotique ou au contraire son amant vieillissant cherchera-t-il à s’accrocher à lui ? Formaliser ses peurs, ses certitudes peut s’avérer dangereux puisque l’écrivain fabrique en quelque sorte des armes contre lui-même.

Entre Paul et Philippe il y a une sorte de d’agressivité feutrée au départ en présence de tous les convives, quelque chose qui ressemble à des reproches, des regrets ou des remords, une manière particulière de régler des contentieux intimes restés en suspens et lorsqu’ils se retrouvent seuls pour une conversation privée, favorisée par l’absence voulue des deux autres, les choses s’éclaircissent entre eux et on sent quelques déconvenues de la part de Philippe, on apprend qu’à l’époque, il était sincèrement amoureux de Paul mais que ce dernier jouait un double jeu pourtant connu de son partenaire et qu’il a prévalu. La confession de Paul a quelque chose à la fois d’apaisant et de douloureux pour son ami que l’épilogue illustre.

 

Ce roman tourne autour du passé commun des deux hommes, de leur jeunesse passionnée enfuie que de nombreux analepses éclairent et on comprend très vite que ni l’un ni l’autre n’en ressortiront pas indemnes. Paul repartira vers sa famille, Philippe poursuivra sa carrière d’écrivain avec l’écriture, qui est une thérapie, pour seule vraie compagne qui l’aidera peut-être à oublier cet amant, puisera dans ses souvenirs, connaîtra des amours nomades, les évoquera dans des romans avec retenue et nostalgie, mais au bout ce sera la mort solitaire. Le temps d’un repas, chacun d’eux est rattrapé par ses fantômes mais Isabelle, à sa manière, remet les choses à leur vraie place et la parenthèse se referme.

Ce roman me fait penser à un aphorisme d’Albert Camus qui rappelle qu’on ne peut revivre à quarante ans les joies qu’on a connues à vingt. C’est, à mes yeux, une des leçons de ce récit.

 

 
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