la feuille volante

Un certain Paul Darrigrand

La Feuille Volante n° 1328

 

Un certain Paul Darrigrand Philippe Besson – Julliard.

 

Philippe Besson puise dans ses souvenirs biographiques pour nourrir ses romans et cultiver sa différence. Comme c'est souvent le cas, il narre, ici à l'occasion d'une photo retrouvée par hasard, une rencontre qui a marqué sa vie, celle d'un jeune homme, Paul Darrigrand, légèrement plus vieux que lui, rencontré au cours d'une période de formation universitaire à Bordeaux, l'auteur a alors une vingtaine d'années. Sauf que ce Paul est marié, souhaite avoir un enfant avec Isabelle, pense à son avenir et à celui de sa famille alors que l'auteur est plus insouciant, fait prévaloir le présent. C'est donc un peu compliqué et entre eux, c'est une sorte de valse hésitation où la séduction le dispute à l'indifférence, l'envie à la retenue. Au départ, le désir est du côté de Philippe, le narrateur, alors que Paul donne l'impression de vouloir le fuir et quand ils se rencontrent en présence de sa femme on sent Paul gêné. Puis ce sont les regards qui trahissent la tentation, la peur de soi-même, l'attente de l'autre, le plaisir de l'étreinte, la complicité, les instants volés, les paroles étouffées, la honte aussi. Leur relation est faite de silences, de questions non posées, d'interrogations sans réponses immédiates. Elle existe dans le secret, entre le simple adultère et la vraie histoire d'amour ou la banale toquade, avec cette culpabilisation et l'hypocrisie à l'endroit d'Isabelle, amoureuse et honnête mais trompée et bafouée sans avoir mérité ni cette trahison ni cette humiliation. La solitude, le temps qui passe, l'absence de Paul rompent le silence avec, en contre-point cette femme dont on ne sait pas si elle leur tend un piège, si elle est naïve ou si sa complicité amicale avec Philippe est réelle. Il analyse avec des mots la nature de leur relation, entre doutes et passion, clandestinité et volonté de s'afficher, avec une interrogation sur la sexualité de Paul, cette alternance potentielle entre les deux sexes, cette ambivalence et le choix des femmes pour la tranquillité et la normalité. L'auteur multiplie des confidences érotiques avec images, odeurs et sentiments.

Quand il aborde le chapitre de sa maladie, il le fait avec un certain suspense mais qui, au bout du compte devient un peu trop long et même fastidieux. De plus, j'avoue avoir peu goûté l'épilogue, n'y avoir pas vraiment cru tant il est vrai qu'une telle trahison laisse des traces et que la brisure qu'elle provoque est définitive et sans véritable pardon possible malgré la confession de Paul, son désir de sauver son couple.

 

Notre auteur avoue sa sensibilité d'alors, sa volonté de la refréner, et la conscience qu'il a que tout cela finit par exploser en donnant autant de romans. Il y a donc chez lui une lente maturation de l'écriture, un mûrissement volontairement contenu dans le temps. Il confie aussi que chacun de ses livres est une sorte de dialogue avec des disparus puisque, dans les années 80, le sida faisait des ravages dans la communautés gay. Il dissèque le mécanisme de l'écriture, ses velléités, ses insuffisances, ses impasses. Cette mise au point du processus de la création romanesque m'a paru extrêmement intéressant. C'est aussi un paradoxe de son écriture que de se livrer avec précision à l'expression et à la dissection des sentiments intimes et en même temps confesser son impossibilité de les transcrire totalement avec des mots. Sur ce chapitre, il en profite même pour évoquer et expliciter certains de ses romans antérieurs, donner des précisions sur leur construction, sur son travail d'imagination...

 

A l'occasion de la sortie de ce livre, je voudrais faire une remarque personnelle. Comme toujours j'ai pris un vif intérêt à ce roman comme à l'ensemble de son œuvre. Nul n'ignore qu'à compter d'août 2018 Philippe Besson a été nommé au poste de consul général de France à Los Angeles et que cette décision fait actuellement l'objet d'un recours devant le Conseil d’État dont notre auteur a décidé d'attendre l'arrêt. Ce n'est pas la première fois que le pouvoir politique nomme ainsi un homme de lettres à un poste de représentation diplomatique. Confier ainsi à quelqu'un qui a honoré son pays en servant sa culture le soin de le représenter à l'étranger est un choix qui se défend parfaitement. D'autre part, donner à sa vie ou à sa carrière professionnelle un nouveau souffle en forme de défi personnel est un choix intéressant quand l'opportunité ainsi se manifeste. Notre auteur l'a, je crois, d'ailleurs déjà fait. Ainsi n'y a -t-il rien à dire sur le principe de cette promotion et de son acceptation. En revanche, je ne peux pas ne pas penser qu'une telle nomination intervient après la publication de son récit « Un personnage de roman »(publié en septembre 2017) consacré à la campagne électorale d'Emmanuel Macron. Que Besson soit fasciné par le personnage ne me gêne pas, qu'il quitte à cette occasion le costume de romancier pour revêtir celui de chroniqueur politique est parfaitement son droit, mais comme je l'avais exprimé dans le commentaire publié à la sortie de ce livre, j'avais craint qu'il puisse y avoir une dimension de flagornerie, annonciatrice peut-être de prébendes. C'est apparemment le cas. Sans entamer mon avis sur les grandes qualités littéraires du romancier, cela me gêne un peu, mais après tout qui suis-je pour m'exprimer sur cette polémique ?

Je ne peux pas ne pas me souvenir cependant que, à ma connaissance, le dernier romancier qui a occupé ce poste prestigieux était Romain Gary.

 

©Hervé GAUTIER – Février 2019. http://hervegautier.e-monsite.com

 

 

 

 

 

 
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