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la feuille volante

Une bonne raison de se tuer

La Feuille Volante n° 1135

Une bonne raison de se tuer – Philippe Besson – Juillard.

 

Novembre à Los Angeles est un peu frais et l'Amérique s'apprête à voter pour Obama. Laura Parker, 45 ans, divorcée, se réveille, solitaire et lointaine, dans cette ville étonnamment calme. Sa tête est vide, ses enfants sont loin et cette journée ne sera pas pour elle semblable aux autres. Samuel Jones, divorcé, est un peintre vaguement hippie, un homme un peu marginal. Il émerge lui aussi, mais son réveil plein de souvenirs ressemble à un retour de cuite, aujourd'hui il va enterrer son fils de 17 ans, Paul, qui s'est suicidé.  Il est un père désormais orphelin même s'il n'y a pas de mot pour exprimer cela. Laura et Samuel sont deux quidams qui, à ce moment du récit, ils ne valent pas mieux l'un que l'autre, lui à cause de son deuil et elle parce qu'elle a décidé de mettre fin à sa vie qui n'a été qu'un échec. L'auteur nous décrit leur dernière journée, presque banale, évoque leur histoire personnelle où la tristesse ordinaire domine et avec elle la certitude de ne pas être à sa place, la culpabilisation, les souvenirs, les questions et l'envie pour Laura de mettre un terme à ce qui est devenu avec le temps un poids insupportable.

 

L'histoire fictive de ces deux personnages ne me paraît pas si éloignée de la réalité et nous avons tous un avis que la question, forcément forgé en fonction de notre caractère, de notre personnalité ou des événements qui ont jalonné notre parcours. C'est un vaste sujet que celui de la vie que l'auteur choisit de traiter à travers ces deux personnes qui ont en commun un mal-être qu'ils combattent comme ils peuvent : Samuel qui n'a jamais eu de chance et qui vient de perdre son fils unique et Laura qui jette sur son itinéraire personnel un regard désabusé. Tous les deux survivent comme ils le peuvent dans une vie au quotidien, accrochés à leurs souvenirs et à leurs regrets. Tous les deux ont une bonne raison de se tuer, sûrement différente de celle qui a projeté Paul dans la mort. L'auteur évoque leur vie qui se déroule indépendamment l'une de l'autre, ils ne se connaissent pas, finiront par se croiser par hasard mais cette rencontre sera presque muette, impersonnelle et je sais gré à l'auteur d'avoir évité l'épilogue facile auquel peu ou prou le lecteur s'attend, surtout sur fond de liesse populaire électorale, pensez-donc, un noir à la « Maison Blanche », ça ne s'était jamais vu !

 

Philippe Besson choisit de nous parler de la vie en évitant de nous dire, comme une abondante littérature nous le rappelle à l'envi, qu'elle est belle et qu'elle vaut la peine d'être vécue. Cela, on l'entend tous les jours, comme si elle était un long fleuve tranquille, comme si elle ne nous réservait pas plus d'épreuves que de joies. C'est un poncif, mais face à elle, il y a différentes manières de réagir. Samuel entame sa résilience qui sera longue et douloureuse. Son art l'y aidera peut-être mais il y a fort à parier que ses tableaux en seront les témoins et que « cette belle lumière » qu'il est venu chercher sur la côte ouest prendra des teintes grises et sombres. Laura a une attitude inverse et tente, par le travail et un semblant de lutte quotidienne, d'exorciser ses souvenirs d'avant, quand elle était mariée et avait une famille. Tous les deux sont assaillis par la culpabilisation de n'avoir peut-être pas fait ce qu'il fallait au moment où il le fallait, par les remords , par la malchance qui s'attache à leurs pas depuis le début aussi, mais si la mort de son fils bouleverse Samuel, c'est la décision de Laura pour elle-même qui la perturbe parce qu'on la sent épuisée, entre hésitations et déterminations. Je note que l'auteur n'a pas résisté à s'insinuer dans son propre roman par un clin d’œil malicieux. Est-ce pour lui la marque d'un solipsisme inévitable ou une manière de donner sa propre réponse à cette question ? Allez savoir !

 

Il m'a semblé que l'auteur nous invitait aussi à réfléchir sur l'amour, la famille, la vie qu'on donne (ou qu'on impose) aux enfants qui vont naître de l’union d'un homme et d'une femme. Cette vie va couronner ou conforter leur amour, assurer une descendance ou n'être qu'un accident. ; On peut toujours y aller de ses projets, de ses serments, mais les choses changent et parfois la trahison et d'adultère s'insinuent dans les couples et les font éclater. On a certes le droit de refaire sa vie avec quelqu'un d'autre au nom d'une erreur parce que notre liberté nous en fait les propriétaires, mais nous appartient-elle vraiment ? Ce sont les enfants qui paient ce genre de bouleversements, ils en sont durablement ébranlés et leur vie future reste marquée par cette épreuve pour laquelle ils ne sont pas préparés, au point parfois de la reproduire eux-mêmes. Paul a dû être à ce point ravagé par la séparation de ses parents qu'il a voulu briser sa solitude et qu'un échec sentimental lui a paru insurmontable. Samuel et Laura ont connu ce conflit conjugal et ne voient leurs enfants qu'au titre du « droit de visite », c'est à dire en pointillés et cet éclatement, cette vie entre deux foyers, contrairement à ce qu'on voudrait nous faire croire en parlant des « familles recomposées », n'est pas vraiment pour eux un facteur d'équilibre, pas plus d'ailleurs que pour leurs parents restés seuls parce qu'ils ont été abandonnés par leur conjoint. Est-ce là, une bonne raison de se tuer ? Qu'on ne compte pas sur moi pour répondre à cette question mais l'état de déréliction qui résulte de ces situations conduit parfois à l'autodestruction à petit feu par l'alcool ou la drogue, ou au suicide parce que la vie est soudain devenue insupportable, parce que c'est une délivrance et qu'on n'a plus la patience d'attendre, qu'on a le sentiment de ne plus servir à rien ni à personne, qu'on n'a plus le courage de résister...

 

Je l'ai déjà dit dans cette chronique, mais j'associe souvent Philippe Besson au peintre américain Edward Hopper, comme si aux mots de l'un répondaient les couleurs silencieuses de l'autre ; comme si les personnages qu'ils nous donnent à voir, chacun à leur manière, avaient en commun cette vacuité, cette solitude, cette attente désespérée d'on se sait trop quoi, cette interrogation silencieuse coincée entre un passé trop lourd et un avenir trop incertain, des hommes et des femmes accablés par le chagrin, la détresse ou la souffrance, l'incompréhension, les remords et qui ne parviennent pas à se convaincre que cette vie peut être belle, comme si leurs deux talents donnaient à voir des êtres perdus dans cette société humaine dont on nous dit qu'elle est caractérisée par la vitesse, la communication, l’entraide... Chacun dans leur style ils expriment, pour l'avoir sans doute vécu douloureusement eux-mêmes, ces drames intimes et anonymes du quotidien qui se déroulent dans l'indifférence générale, ces certitudes d'être inutiles pour soi-mêmes et pour les autres, de n'être rien qu'une vie qui ne vaut rien, qu'une somme de jours qu'on peut interrompre parce que cela passera inaperçus et que ce sera une délivrance.

 

La musique des mots de Besson est à la fois fluide et triste mais elle me parle et j'y suis sensible.  J'ai lu ce roman passionnant et fort bien écrit avec passion et ces courts chapitres montrent bien cette écume des jours et tressent cette ambiance familière d'un quotidien dérisoire et déprimant qui vous broie et vous détruit à petit feu, loin des clichés illusoires d'une vie idéale qui n'existe pas.

 

© Hervé GAUTIER – Mai 2017. [http://hervegautier.e-monsite.com]

 
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