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la feuille volante

LES AMES GRISES – Philippe Claudel

 

N°621– Janvier 2013.

LES AMES GRISES – Philippe Claudel - Éditions Stock.

(Prix Renaudot 2003)

Nous sommes en 1917 dans un petite ville de province, assez loin du front pour que la guerre ne la dérange pas, assez près quand même pour qu'elle se rappelle à ses habitants à cause du son du canon et des convois de soldats qui vont vers la mort.

Ce microcosme est bouleversé par la mort d'une gamine de 10 ans, surnommée « Belle de jour », une des trois filles de Bourrache, le patron de l'auberge, découverte assassinée dans l'eau froide du canal, derrière le château du Procureur Destinat. Ce magistrat solitaire, veuf, notable et grand bourgeois est austère et même un peu bizarre, comme coupé de la réalité qu'il régentait partiellement à cause de son métier, envoyant avec un grand détachement les assassins à l'échafaud. Le tribunal était aussi hanté par le juge Mierck, vicieux et cynique, craint autant à cause de ses fonctions que de l’insensibilité avec laquelle il les exerçait. Il est secondé par son acolyte, le colonel Matziev, sorti de nulle part aussi inquiétant que dérangeant.

Or ces deux hommes, ces deux magistrats aussi dissemblables l'un de l'autre se haïssaient comme il était difficile de se haïr. La proximité des lieux du crime avec le château du procureur, un témoignage qui l'accable mais qui cependant est vite écarté par le juge vont pourtant lui donner l'occasion de mettre de côté ses rancœurs et d'épargner son collègue. Ils ne s'aiment gère mais appartiennent au même monde, celui des notables, des défenseurs de la loi et de l'Ordre Public. La guerre est là, heureusement, et deux pauvres déserteurs égarés dans cette petite ville vont être des bouc-émissaires idéals. On leur fait avouer n'importe quoi et « l'affaire » qui bouleversa cette petite ville, est officiellement close.

Le narrateur, qui est aussi un modeste policier, remonte le temps à propos de cette « affaire » bien mystérieuse dont il tente de dénouer les fils bien qu'elle soit close. Il croise les âmes grises de ses habitants qui veulent oublier.et nous raconte aussi une autre mort mystérieuse, celle de cette jolie institutrice venue au cœur du conflit enseigner dans cette petite ville. Il nous parle de sa pauvre vie à lui, celle d'un planqué dispensé de guerre mais qui pleure sa femme. Il se classe volontiers dans le camp des salaud, les « justes » sont ceux qui sont au front et qui se battent pour leur Patrie. Il n'est pas l'un d'eux, et pas seulement à cause de cette guerre qu'il n'a pas faite.

Après la mort du Procureur, torturé par le mystère de l'assassinat de « Belle de Jour » autant que par la justice qui n'a pas été correctement rendue, il choisit de narrer pour lui-même les faits, noircissant des cahiers qui lui font peut-être mieux accepter les choses et son âme à lui, tout aussi grise que celle des autres, tout en notant « C'est douloureux d'écrire, je m'en rends compte depuis des mois que je m'y suis mis. Ça fait mal à la main, et à l'âme ». Pourtant, il est admis que l'écriture est libératrice mais l'épilogue montre que dans son cas, il ne peut rien en être.

Tout au long de ce roman qui n'est pas un « policier » à proprement parlé, j'ai été séduit autant pas l'écriture fluide et agréable à lire de son auteur autant que par le suspens savamment entretenu jusqu'à la fin.

 

©Hervé GAUTIER – Janvier 2013.http://hervegautier.e-monsite.com

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