la feuille volante

MADAME RÊVE

N°991– Novembre 2015

 

MADAME RÊVE Pierre Grillet- Stock.

 

Quand on écoute une chanson, ce qui frappe d'abord, ce qu'on retient en premier, c'est la mélodie, c'est grâce à elle qu'on la reconnaît même si on n'est pas musicien. La mémoire des paroles vient après mais il arrive souvent qu'on ne les retienne pas ou qu'on les attribue au chanteur même s'il n'en est que l'interprète. Ici, le texte est né, s'est enrichi, à gagner en maturité et en sensualité entre Pierre Grillet et Alain Bashung parce que, sans doute, chacun y a pris sa part personnelle. Pour l'auteur de ce livre, les paroles de la chanson comme du roman lui ont été inspirées par une femme, ce qui est plutôt banal au demeurant mais, ce qu'il l'est peut-être moins c'est que cet amour qui en est à l'origine a quelque chose d'impossible, il est fait d'étreintes et de fuites, de retrouvailles et de trahisons, de réconciliations, de passions avortées, d'indifférences et de jalousies...Natasha y accroche sa vie, son sourire, ses absences, « sa part ». Lui apporte son besoin irrépressible de la protéger, ses envies, ses fantasmes, ses lâchetés… Elle lui est indispensable, elle existe dans sa mémoire plus que dans son quotidien, entre la drogue et la liberté, sa vie de papier n'est faite que de ces mots qu'elle lui souffle sans le savoir. Être la muse d'un écrivain a quelque chose de frustrant et de merveilleux à la fois. Lui n'est ici que de passage sans vraiment l'intention de marquer son temps malgré les mots qu'il distribue pour le succès des autres parce que le parolier est souvent oublié ou méconnu. Il écrit non pour gagner de l'argent mais pour se libérer et fixer ses souvenirs mais reste son éternel amant, un homme de passage qu'on prend et qu'on oublie, qui part à l'aube, qu'on cache, qui ne laisse qu'une ombre, qu'un souvenir mais pas de trace dans le quotidien et peu de projets pour l'avenir…

 

On a beaucoup gloser sur le sens des paroles de cette chanson qui parle de l'onanisme féminin et de la jouissance. Ce thème a été longtemps tabou et ces mots écrits ont suscité de la gêne, entre vulgarité et puritanisme. C'est vrai qu'il est décevant d'avoir écrit quelque chose et de devoir le garder pour soi faute de pouvoir le faire partager parce que les autres ne le comprennent pas ou le refusent. C'est aussi bête que cela mais une chanson doit être chantée et le jour où on trouve l’interprète, une voix la fera exister. Quand elle sera chantée, diffusée, on pourra toujours l'aimer, la détester, s'identifier à elle et se demander si peut-être c'est de soi dont elle parle, cela ne coûte rien mais elle finira assurément dans l'oubli. Heureusement Bashung est là pour « Madame rêve » mais Natacha, elle, n'est qu'une ombre.

 

Le livre refermé que m'en reste-t-il ? Une impression bizarre, comme quelque chose qui ressemble à l'évocation d'un amour chaotique, épisodique mais bizarrement sincère et profond parce que non pollué par un quotidien matrimonial, une volonté de faire revivre un passé en pointillés. Pourquoi pas ? Nous savons tous que nos proches disparus, ceux que nous ne reverrons plus, ne sont vraiment morts que lorsqu'on ne pense plus à eux. Je sais aussi que la genèse des mots qu'on charge de porter le souvenir d'un être aimé s'inscrit dans l'univers douloureux qu'est un livre. L'accouchement en est difficile et le résultat bien souvent en-deçà de nos propres espérances, avec au bout, la déception de n'avoir pas su ou pas pu dire exactement ce qu'on porte en soi. On connaît, à ce moment-là, la vraie dimension de la solitude, de l'impuissance, de l'inutilité, on se raccroche à ce qu'on peut, on choisit de voir des signes dans le hasard, le destin ou dans un quelconque dieu si on croit à son message, on retient ses larmes ou on se laisse aller, cela dépend de chacun. On aurait souhaité échanger notre vie contre celle qui vient de disparaître mais ce troc n'est pas possible et cela génère une culpabilité ridicule, irrationnelle mais incontournable. On s'accroche au peu de choses qui restent et qui symbolisent et rappellent sa vie, des photos, des objets personnels, cela rassure parce qu'ils entretiennent la mémoire, comme les mots parce que le tri se fait de lui-même et qu'il n'en reste que le meilleur puisque c'est, inconsciemment, ce qu'on veut préserver.

 

C'est un texte sur la passion que j'ai pourtant lu sans passion, presque pressé de connaître l'épilogue sans pour autant être capable d'en interrompre définitivement la lecture avant la fin. Une impression bizarre donc.

 

Hervé GAUTIER – Novembre 2015 - http://hervegautier.e-monsite.com

 
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