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la feuille volante

Pierre Jourde

  • PAYS PERDU

     

    N°901– Mai 2015

     

    PAYS PERDU – Pierre Jourde – L'esprit des péninsules.

     

    Parce que son frère vient d'hériter d'un lointain cousin, Joseph, il revient avec le narrateur dans ce village perdu du Cantal pour prendre possession de son héritage, au vrai pas grand chose une fois que toutes les vieilleries auront été brûlées et les lieux nettoyés de tout ce que ce vieux célibataire avait, tout au long de sa vie, amassé. C'est aussi l'occasion d'apprendre la mort de Lucie, une jeune fille du village, torturée depuis longtemps par la maladie et d'aller à ses obsèques.

     

    Ce roman qui se déroule sur deux jours retrace la vie des habitants d'un petit village du Cantal, Lussaud, où l'auteur a ses origines. C'est effectivement un pays perdu, un petit village de quelques familles dont le nombre va diminuant, où la route qui y mène se termine en cul-de-sac. A l'occasion de cet enterrement où il va revoir des voisins et des parents éloignés, des souvenirs d'enfance vont lui revenir et il va décrire ce terroir tel qu'il le voit, comme si l'écrivain qu'il est, portait cela en lui depuis bien longtemps. Sous sa plume, les paysages sont bucoliques et décrits poétiquement mais le village lui-même et ses habitants sont marqués, comme bien souvent ailleurs, par la solitude, l'alcoolisme, le suicide, le handicap mental qui résulte souvent des conséquences d'un alcoolisme militant et des mariages consanguins depuis plusieurs générations. Il évoque les incontournables vieux garçons, restés célibataires pour n'avoir jamais croisé de femme, la haine des clans, entretenue d'années en années, née d'une faute grave ou d'une broutille mal interprétée et qu'on avait même fini par oublier, mais qui est vouée à une impossible réconciliation. Il parle des inévitables adultères que tout le monde connaît mais qu’il faut taire, des ragots, de la cohabitation des générations sous un même toit, de la traditionnelle obéissance aux anciens, des rituels comme les verres de vin et d’apéritifs qu'on partage, les parties de belote, la lecture du journal, la mise à mort annuelle du cochon, la vie simple, austère, dure, de la saleté des fermes, de l’hygiène plus que relative au quotidien, de la rudesse du climat d'hiver, des villages quasi-déserts aux cimetières plus peuplés que les maisons. Il n'oublie pas non plus les fantasmes entretenus de tout temps, celui du trésor caché, des hypothétiques louis d'or enfouis dans les matelas mais qu'on en retrouve jamais. D'ailleurs le narrateur lui-même y succombe, les cherchant sans l'avouer, dans le fatras du cousin Joseph. De tout cela il parle sans complaisance et sans détour, décrivant le village tel qu'il est. Il se souvient de son enfance passée au village, revoit ceux qui sont encore là et qui suivront le cercueil et ceux qui ne viendront pas. Cet enterrement lui rappelle son père, sa vie, sa tombe...Il se laisse aller à des considérations personnelles sur la mort, la souffrance, les larmes qu'il exprime avec les mots de l'écrivain.

     

    Ce texte évoque la disparition progressive et définitive d'une certaine forme de société paysanne qui désormais appartient au passé ou qui est promise à une mort prochaine et dont l'auteur a voulu porter témoignage. Même si ce n'est pas exactement un hommage, le dire, surtout de la manière dont a choisi l'auteur, n'a rien de déplacé et ne manifeste aucune volonté de dénigrer quiconque, même si ce n'était pas tout à fait ce qu'attendaient ces habitants. Malheureusement, ce livre qui est avant tout une œuvre d'art, une œuvre de l'esprit, n'a pas atteint son but, bien au contraire puisqu'une incompréhension s'est installée en même temps qu'un malaise. Ce qui, au départ ne devait être qu'une nouvelle relatant la mort d'une jeune fille s'est petit à petit transformé en roman à l'invite des souvenirs de l'auteur. Dans ce microcosme où tout se sait mais où tout doit rester secret jusqu’au sein des familles, il a osé briser le tabou du silence en évoquant les gens et leur histoire, même si les noms ont été changés. Ceux qui se sont reconnus ne l'ont pas supporté, l'ont accusé de « violer » ce village et sous couvert de parler d'eux s'est mêlé de ce qui ne le regardait pas, a révélé tout cela tout cela au grand jour. Dire des vérités, révélé des informations est devenu à leurs yeux inconcevable même si l'auteur y a inclus lui-même sa propre histoire, celle d'une lointaine filiation adultérine.

     

    Pierre Jourde n'est pas un inconnu pour cette revue et la lecture de « La première pierre » m'avait ému (La Feuille Volante n°708). Il se trouve que les personnages dont parle l'auteur ont considéré que ce dernier, même s'il était originaire de ce village et même s'il était écrivain, n'avait pas le droit de parler des vivants et des morts, c'est à dire d'eux. Une polémique est donc née et, après la parution du livre, lorsqu'il est revenu, comme chaque été pour les vacances dans ce village où il possède encore une maison de famille, il a été agressé et la chose s'est terminée comme de juste devant le tribunal. C'est un peu comme si, puisqu'il était parti du village, qu'il avait embrassé une autre vie que celle de gratter la terre, qu'il avait choisi de vivre différemment des gens d'ici, qu'il était devenu universitaire et écrivain, il était maintenant considéré comme un étranger dont peu ou prou on était jaloux. Georges Brassens ne dit pas autre chose « Non les gens n'aiment pas que, on suive une autre route qu'eux » ce à quoi Pierre Vassiliu lui répond « Ça emmerde les gens quand on vit pas comme eux ».

     

    Ce que je retiens pour ma part et en dehors de cette polémique stérile (d'autant qu'il y a « chose jugée »), c'est l'écriture poétique de cet auteur, les descriptions méticuleuses et particulièrement réalistes des paysages et des gens. A titre personnel, j'ai entendu la même petite musique agréable que celle dont le poète Georges-Léon Godeau faisait entendre dans ses écrits. Je pense aussi qu'il ne peut y avoir d'art, d'inspiration, sans la nourriture de l'esprit qu'est le réel et qu'un écrivain choisisse d'irriguer son œuvre avec ses souvenirs et son environnement n'a rien de scandaleux. Au nom de quoi les peintres, les musiciens, les écrivains n'auraient-ils pas le droit de puiser leur créativité dans la réalité qui les entoure. Il me semble d’ailleurs que cela a déjà été fait, et avec talent, et notre belle littérature est riche de ces écrits dont notre culture, à juste titre, s’enorgueillit. Et puis n'a-t-on pas beaucoup parlé récemment de la liberté d’expression qui est si chère à notre démocratie et à notre modèle social ? Il y a, bien évidemment, l'indispensable respect de l'autre mais, sans vouloir entrer dans le débat, je n'ai vu dans ce texte aucune allusion tendant à porter préjudice à ceux qui sont ici décrits ni la moindre la moindre intention de leur nuire. Si ce qu'ils ont lu correspond à la réalité et que cette réalité les indispose, qui y peut quelque chose ?

     

     

    ©Hervé GAUTIER – Mai 2015 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • LA PREMIERE PIERRE – Pierre Jourde

    N°708 - Décembre 2013.

    LA PREMIERE PIERRE – Pierre Jourde – Gallimard.[2013]

    C'est bien la première fois que je lis un livre qui est le compte rendu et le commentaire d'un autre livre que je n'ai pas lu. De qui s'agit-il donc ?

    L'auteur, Pierre Jourde, romancier, critique littéraire et universitaire est originaire de Lusseaud, un petit village d'Auvergne où il revient chaque année passer ses vacances dans la maison de famille. Il a, en 2003, publié un livre, « Pays perdu » qui, selon ses dires, se voulait être un hommage à ce terroir et à ses habitants, des individus ainsi devenus des personnages de roman dont les noms avait été, bien entendu, transformés. Dans ce premier livre il parlait de la rudesse de la vie montagnarde, de la solidarité qui cimente les gens, tout cela à l'occasion de la mort de la fille d'un voisin. Il se demande d'ailleurs comment « un livre publié chez un petit éditeur par un auteur peu connu »avait bien pu parvenir chez des gens qui pourtant lisent peu. Le paradoxe fut sans doute que parmi ses nombreux détracteurs, peu avaient effectivement lu ce récit et que d'autres parmi eux l'avaient trouvé peut-être naïf mais pas méchant. L'ennui c'est qu'une partie de ces derniers qui y avaient pourtant vu au départ « un beau livre » y ont lu une attaque personnelle inacceptable, une incursion dans leurs vies et cette fiction les a « rendu fous de rage ». L'auteur fit donc l'objet de critiques qui nourrirent une polémique et son retour estival a rapidement dégénéré en une lapidation, un véritable lynchage, quelques allusions précises à un adultère ancien de sa grand-mère, la filiation douteuse de l'auteur et des remarques acerbes sur sa vie privée personnelle. Un peu comme si de longues années de jalousie et de haine éclataient enfin en cette journée estivale, sous les yeux de sa famille, un peu comme si Hugo était rossé par les les Thénardier, comme si Zola était bastonné par les Rougon-Macquart ! Tout cela se termine en bataille rangée, un contre tous, mais l'auteur qui pratique la boxe ose se défendre ce qui, dans l'esprit des autochtones aggrave son cas. Sa mère lui avait pourtant conseillé de ne pas répondre si on l'agressait.

    Bien entendu, il y a dépôts de plainte de part et d'autre, procès-verbaux de police parfois laborieux, instructions contradictoires, mauvaise foi ordinaire, négations des faits pourtant patents et finalement audience devant le tribunal d'Aurillac avec constitution d'avocats, effets de manches et finalement verdict condamnant tout le monde à des amendes et à de la prison avec sursis. Mais puisque l'auteur est un écrivain, la presse locale et nationale s'en mêle, prend partie, tout comme les réseaux sociaux de sorte que ce qui aurait pu être un épiphénomène devient rapidement une affaire où s'opposent deux conceptions. D'une part un type de la ville, universitaire et écrivain qui, sous couvert de ragots dont il s'est fait l'écho, a violé une communauté paysanne à laquelle il ne comprend rien, montrant l'arrogance des citadins et surtout des intellectuels face aux vrais valeurs de la France rurale incarnées par des paysans désarmés, autant dire une notion pétainiste de la terre « qui ne peut mentir ». D'autre part ceux qui ont aimé ce livre et qui insistent sur l'illustration de la beauté des campagnes et de la vie paysanne, prônent la liberté d'écrire et la sacralisation de la littérature face à des analphabètes. La polémique était donc totale et chacun y allait de son commentaire.

    Le problème se posait donc à l'auteur qui, dans la rédaction de « La première pierre » s’interpelle lui-même sous le vocable de « Petit bonhomme ». Il prend conscience, à la lumière de ces faits que la littérature a au moins une fonction, celle de « tenter d'opposer, à toutes les fictions rudimentaire, la complexité du réel » mais ce n'est pas suffisant, il sent qu'il doit s'expliquer plus avant, dégonfler cette baudruche qu'il a contribué naïvement peut-être à créer et que d'autres se sont chargés de gonfler. C'est qu'il a écrit ce livre avec son cœur, surpris par la polémique qui a suivi, nourrie par exploitation partisane de passages sortis volontairement de leur contexte ou mal interprétés dans le seul but de choquer, un peu comme si ce livre ressemblait malgré lui à un os offert à ronger, une sorte d'occasion donnée aux autres de se venger de celui qui certes était d'ici mais qui avait réussi, habitait la ville, écrivait des livres, ne grattait plus la terre et donc ne leur ressemblait plus ! On aurait sans doute voulu qu'il fût, s'autocensurant, moins lui-même, plus consensuel et coopératif avec ceux qui étaient ses personnages, qu'il restât dans les limites « correctes » de la littérature. De ce qui n'était à l'origine qu’une nouvelle relatant les obsèques d'une enfant il a voulu faire un livre où il parlait des gens, de leur histoire, de ce terroir qu'il n'avait pas assez idéalisé, donnant des détails qui ne tissaient pas forcement « une bonne image » de l'Auvergne. Ce faisant, il avait touché aux morts et cela devenait « dégoûtant ». Il fallait donc le lui faire payer. Alors on lui avait renvoyé au visage l'opprobre d'une bâtardise qu'il n’ignorait cependant pas. Et tout est ressorti à partir de là, la faiblesse de ce père tardivement reconnu par le mari de cette mère infidèle et bafoué par elle, l'héritage qui avait fait de lui un riche propriétaire dont des générations de pauvres fermiers trouvaient ainsi, par delà le temps, l'occasion de se venger. Pour eux, les riches dont Jourde fait partie ne pouvaient qu'être mauvais et ce livre était une occasion à ne pas manquer de le dire, malgré les verres entrechoqués, les fêtes données au village, les messes entendues et les coups de main donnés par l'auteur lui-même, pour les travaux des champs. Il était accepté bien qu'il soit définitivement « un étranger ». Ainsi Pierre Jourde se sentait investi d’une mission, celle de rendre à son père sa fierté et c'est avec ce livre qu'il entendait le faire de sorte que « la mort du père menait à l'écriture du livre, ce tombeau ».

    Quant aux révélations qu'il fait sur les habitants, le « petit bonhomme » les assume puisque, même si elles sont tragiques, elles n'ont rien de mystérieux, sont connues de tous mais doivent rester secrètes. Pierre Jourde ne se destinait pas à écrire sur ce pays, seul les obsèques de cette jeune fille ont été le déclencheur et dans son livre il évoque le village, l'histoire clandestine de sa famille et « l’incapacité à dire » de l'auteur « avait produit le livre » parce que dans un village tout se sait, même si des choses restent secrètes au sein même d'une famille. Maintenant, après tout cela, quand il revient à Lussaud on l'ignore , il est une non-présence, sauf peut-être quelques-uns que cela ne concerne pas. Il éprouve pour lui ce qu'est le non-pardon mais qui s'étend aussi à tous ceux qui l'ont soutenu, même à ceux qui depuis ont acquis une maison au village et même à leurs enfants ! Pour faire bonne mesure il y a eu une pétition, des menaces, des intimidations, des petites bassesses qui signifiaient à l'auteur que même dix ans après il n'était plus chez lui.

     

    J'ai lu ce livre passionné et passionnant par le problème qu'il soulève mais aussi par la manière lumineuse dont il est écrit. Je l'ai lu comme une autre manière de se libérer, d’exorciser cette haine, malgré le risque de rallumer les querelles à cause des noms cités [« En même temps il faut bien que les choses soient dites »]. Je l'ai lu comme un plaidoyer en faveur de l'écriture qui est une catharsis. Elle est un droit et même un devoir pour l'écrivain parce que qu'il porte en lui doit être exprimer, la sanie qui coule de sa blessure doit être épongée même s'il doit pour cela convoquer des fantômes. L’écrivain n'a pas forcément quelque chose à vendre, il porte en lui un message qu'il doit exprimer avec des mots, quoiqu'il lui en coûte, même s'il bouscule un peu sa famille. Et le « petit bonhomme » doute «  Mais qu'est ce que tu dis là, tu dis ce qu'on ne dit jamais... tu sais que le silence est plus digne...tu installes la honte dans ta maison. La littérature est une honte » mais il s'exprime en voulant surtout ne faire de mal à personne. Il règle des comptes, il aggrave son cas en quelque sorte avec ce deuxième livre, mais il a gardé cette maison au village et je trouve cela plutôt bien, une manière de dire à tous qu'il a fait ce qu'il avait à faire !

    ©Hervé GAUTIER – Décembre 2013 - http://hervegautier.e-monsite.com

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