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la feuille volante

Pierre Mac Orlan

  • La Bandera

    N°1616- Décembre 2021

     

    La bandera – Pierre Mac Orlan. Éditions Rombaldi.

     

    Parce qu’il a tué un homme à Rouen, Pierre Gilieth a fui la France et s’engage dans la Légion espagnole en espérant que l’uniforme et le cantonnement au Maroc le protégeront des éventuelles poursuites qu’il redoute. Il est aussi sans le sou et il pense que la solde, quoique modeste, lui permettra de ne pas mourir de faim. Lors de son engagement, il rencontre un autre français, Fernando Luca, qui est un policier à sa recherche et qui s’engage lui aussi. Sur place, les deux hommes s’amourachent d’Aïscha, une prostituée que Gilieth charge de surveiller Luca. L’opposition entre les deux hommes, affectés dans la même compagnie, est parfois violente. Lors d’un affrontement dans le Rif, Luca accepte de ne plus espionner Gilieth et de renoncer à la prime. Les deux hommes se réconcilient en une poignée de mains, Gilieth parce qu’il veut faire son devoir de légionnaire, Luca parce qu’il estime cet homme qui veut ainsi racheter l’erreur d’un moment ; et Pierre tombe, mortellement atteint. Plus tard, Luca retrouve Aïscha vieillie qui a gommé de sa mémoire jusqu’à sa passion pour cet homme.

    Le style de ce roman est plus littéraire, précis et poétique dans ses descriptions que ce que j’avais noté dans « Le quai des brumes », un autre roman célèbre de cet auteur. Le quotidien du légionnaire y est évoqué depuis les exercices militaires, les gardes, l’ennui né de l’attente, jusqu’à l’ambiance des bordels arabes. Ce genre de roman qui prône la liberté et les grands espaces est révélateur de cette époque. Avec ceux d’Antoine de Saint-Exupéry, ils évoquent ces concepts mais aussi la solitude de l’homme face à la vie qui passe et parfois tue, mais aussi une sorte de fatalité qui s’attache à ses pas. Le légionnaire espagnol est « el novio de la muerte »(le fiancé de la mort), ce thème qui est le quotidien des soldats de la « Bandera »(le drapeau en espagnol, ici la « compagnie ») revient donc souvent dans ce roman avec celui de la virilité, de l’attente, de l’aventure, de la discipline, de l’abnégation, de l’obéissance aux ordres. Ce roman qui fourmille de détails sur la vie quotidienne du légionnaire a été. publié en 1931 et se déroule au Maroc espagnol où les légionnaires sont chargés de la pacification. Il met en lumière la Légion qui, à l’époque, était très en vogue non seulement à cause des guerres coloniales mais aussi était le symbole du dépaysement, du prestige de l’uniforme et d’une certaine virilité chantée notamment par Édith Piaf (« Mon légionnaire » – « Il était mince, il était beau, il sentait bon le sable chaud) »). La Légion, quand elle n’est pas un refuge pour les amoureux malheureux, est aussi le symbole d’une seconde chance pour le simple légionnaire, celle de faire carrière peut-être mais celle surtout dans l’immédiat, grâce au changement de nom, d’effacer un passé souvent douteux et de se fondre dans la masse des combattants en défendant la patrie qu’il a choisie.

    Au-delà de l’histoire et du cadre il y a l’étude des caractères. Gilieth, obsédé par son meurtre tente de se racheter par une vie exemplaire de légionnaire, Luca, devenu agent d’une police où il n’a pas sa place va jusqu’à s’engager pour poursuivre Gilieth et le confondre mais la mort de ce dernier met fin à sa mission. Revenu à Madrid il redevient un pauvre hère qui vivote mais, obsédé par son camarade mort, retourne à la Légion pour s’y faire tuer, parce que la mort sera pour lui une délivrance.

     

    Pierre Mac Orlan qui est un écrivain majeur du XX° siècle est aujourd’hui injustement oublié. Avec la lecture de cette œuvre j’ai renoué avec lui et mon plaisir de le lire a été renouvelé. Je note qu’il a largement inspiré le cinéma, ce qui a correspondu à une écriture cinématographique originale à cette époque dans le cinéma français. Il avait la fibre aventurière et ses œuvres sont largement autobiographiques mais celle-ci qui abonde en détails a sûrement dû être inspirée de l’expérience de son frère Jean qui s’engagea dans la Légion après une affaire qui aurait mal tourné.

     

    Ce roman a été porté à l’écran par Julien Duvivier en 1935 et Jean Gabin qui incarne ici Jean Gilieth en est la vedette et Robert Le Vigan incarne Luca. Ce film a été tourné en décors naturels, c’est à dire au Maroc espagnol. J’ai lu que ce film est dédié au général Franco pour les autorisations qu’il accorda pour faciliter ce tournage. Duvivier nota également la grande connaissance du général de la culture française. Ce détail est évidemment étonnant de la part de celui qui allait devenir, quelques années plus tard, chef d’une rébellion qui ensanglantera son pays et y installera une dictature impitoyable de presque quarante ans.

     

  • Le quai des brumes

    N°1615- Décembre 2021

     

    Le quai des brumes – Pierre Mac Orlan. Éditions Rombaldi.

     

    Le roman est un peu compliqué et se déroule sur trois années. Un soir d'hiver au début du XX° siècle à Montmartre, au cabaret "le lapin agile", quatre hommes dans un café, le tenancier, puis Jean, un jeune homme pauvre et paumé, un militaire de la Coloniale qui disserte sur le cafard du soldat, déserte et après une vie civile misérable songe à se rengager dans la Légion sous un faux nom, un peintre allemand aux étranges pouvoirs de divination, et Nelly, une jeune fille, qui finit se lancer dans la prostitution. On assiste à une fusillade, à un assassinat pour une sordide histoire d’héritage... A travers Jean qu’on retrouve plus tard, on évoque la pauvreté puis la Légion étrangère, emblématique de cette époque à cause des guerres coloniales, et qui offrait une deuxième chance aux mauvais garçons qui à cette occasion changeaient de nom et ainsi disparaissaient ou à ceux qui, comme Jean, n’attendaient plus rien.

    Il y a beaucoup de gens désespérés dans le roman, le déserteur qui sous un faux nom s’engage dans la Légion, un peintre qui se suicide, Nelly qui devient prostituée, Jean qui meurt. L'ambiance est assez sordide et le style brut. Ce qui ressort c'est une grande solitude des personnages avec la mort en arrière-plan.

    Le roman ne ressemble que très peu au film de Marcel Carné avec Jean Gabin et Michèle Morgan. La réplique culte que tout le monde connaît (t’as d’beaux yeux tu sais) n'y figure même pas et Mac Orlan lui-même félicita le metteur en scène et Jacques Prévert, dialoguiste à la poésie désenchantée, pour l’adaptation qu'ils avaient faite de son roman. Soyons juste, si maintenant ce titre est en quelque sorte inscrit dans la mémoire collective, c'est davantage grâce au film, qui date quand même de 1938 (le roman avait été publié en 1927) et au visage des deux acteurs principaux, qu'au roman et à son auteur. Pourtant son nom résonne encore aujourd’hui entre l’inconnue et la notoriété. Marcel Carné a considérablement revisité l'intrigue, la concentrent sur la désertion du soldat, Nelly étant la seule, grâce à la prostitution dans laquelle elle s’est enfermée, à rêver un peu, parmi ces personnages marqués par la fatalité.

     

    J'avais très envie de relire Pierre Mac Orlan (1882-1970) parce que son nom lui-même a toujours eu pour moi des relents de mystères. Il a été, de son vivant, un peu secret et de nos jours il est devenu lui-même carrément un personnage mais surtout un auteur injustement oublié. Pourtant il fait partie de ses écrivains dont le nom est régulièrement cité et qui sortent périodiquement d’un purgatoire littéraire où la mode les a enfermés. Sur son parcours, il a lui-même entretenu beaucoup de flou. Il aurait justifié l'origine de son pseudonyme - de son vrai nom Pierre Dumarchey– par l'existence d'une très improbable grand-mère écossaise. Pour accréditer cette certitude, on le voyait souvent coiffé d'un béret en tartan. Il y fut aidé par le hasard, des incendies qui, à cause des deux guerres, ont fait disparaître les registres d'état-civil (il était né à Peronne dans la Somme) et l’École normale de Rouen où il fut inscrit fut détruite par les bombardements. Il la quitta avant le terme de son cursus, la situation d'instituteur ne correspondant sans doute pas à son idéal de liberté. Apparemment il ne confessa de cette période que des souvenirs sportifs de rugby à XV! Son père lui-même brûla tous les documents personnels et familiaux. On est à peu près sûr d'une jeunesse faite d'une vie de bohème désargentée et montmartroise pendant laquelle il croisa Gaston Couté , Guillaume Apollinaire, Blaise Centrars, Roland Dorgeles... Jeune, il commit quelques écrits érotiques et les œuvres de François Villon l'éveillèrent à la poésie, il s'adonna à la peinture, à la chanson qui lui offrit quelques maigres moyens de subsistance. La guerre de 14-18 où il fut blessé marque sans doute ses débuts d'ailleurs assez discrets dans la littérature. Pour autant le jeune aventurier qu'il était est devenu un authentique écrivain au sortir de la 1° guerre mondiale grâce à la presse qui fit de lui un reporter. Il fut plus tard élu à l'Académie Goncourt, donna son nom à un Prix et son style peu conformiste et en marge des grands courants littéraires traditionnels, influença cependant beaucoup d'hommes de lettres contemporains.