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la feuille volante

Régis Jauffret

  • Le dernier bain de Gustave Flaubert

    N° 1532 – Mars 2021

    Le dernier bain de Gustave Flaubert - Régis Jauffet – Seuil.

     

    Je remercie les éditions du Seuil et Babelio qui m'ont permis de découvrir ce roman.

     

    Gustave Flaubert vient de mourir à 58 ans...dans son bain! Il refait pour nous le chemin à l'envers comme, parait-il, on revoit sa vie en une fraction de seconde avant de basculer dans le néant. Mais il le fait plus longuement par le truchement de Régis Jauffret, son scribe, qui nous présente les choses en deux parties, une première ou Flaubert parle de lui-même( « Je ») et une seconde où il est question de lui (« Il »).

    J'aime bien lire les biographies surtout quand c'est l’intéressé, ou son fantôme, qui vient, comme ici, raconter sa propre histoire en y mettant ce qu'il faut de personnel et d'humour pour passionner son lecteur. J'ai en effet bien aimé que Flaubert parle de sa vie avec passion et de sa mort avec un certaine détachement non dénué d’angoisse cependant. On y apprend certains détails révélateurs comme son culte pour Chateaubriand, la pratique du "Gueuloir" par lequel il faisait passer chacun des textes qu'il écrivait pour en éprouver les sonorités, mais aussi d’autres qui vont à l’encontre de ce qu’on a dit de lui. J’ai bien aimé aussi qu’il cultive une sorte de complicité avec ses personnages devenus réels, les mêlant à sa propre vie, même si cela n'est pas tout à fait vrai et vu par l’œil d'un romancier. Mais après tout c’est une manière de leur redonner vie ! Cela à l’avantage de tisser entre Flaubert et son lecteur une sorte de complicité bienvenue. C'est un peu plus convivial, plus hallucinatoire aussi que le conventionnel manuel scolaire "Lagarde et Michard" dont les potaches de ma génération ont fait un usage à la fois servile et coutumier, surtout quand il s'agissait de rédiger une dissertation. C'est donc Flaubert lui-même qui nous invite à cheminer dans sa propre vie à commencer par Rouen où il est né. Il évoque sa famille, la pratique d'une médecine balbutiante et meurtrière que son père, comme les autres praticiens de cette époque, a exercé, sa jeunesse bercée par le romantisme, sa scolarité, sa fonction d'écrivain...Ça bouscule un peu ce qu'on m'avait appris au cours de mes "humanités ». Il nous conte par le menu sa première rencontre avec une femme mariée plus âgée que lui, passion qui le poursuivra toute sa vie au point de faire d'elle un de ses personnages de roman et de la rechercher parmi toutes ses conquêtes.

    Régis Jauffret nous énumère les amours vénales, nombreuses, variées, inattendue, libertine, homosexuelle et même pédophile d'un éternel « Don Juan » célibataire, avec en prime la syphilis, sa maladie chronique, l’épilepsie, ses succès et ses échecs d'écrivain et de séducteur. Il parle en effet beaucoup des femmes, de ses étreintes furtives et nombreuses ou de ses ferveurs amoureuses et érotiques. Cela fait de lui un épicurien mais aussi un solitaire qui, à la fin de sa vie, déplore l'absence de descendance. Il nous le présente comme un globe-trotteur dont les voyages nourrissent ses romans, un travailleur infatigable, respectueux du détail, amoureux de la langue française et du style qui était pour qui comme un défi. Son relatif isolement, sa volonté d'être en marge d'une certaine moralité bourgeoise autant que l'observateur attentif de ses contemporains et le chroniqueur de son temps, ont été le moteur de sa créativité mais il fut aussi un homme qui, à la fin de sa vie, parle de sa propre mort à venir avec un certain sentiment de délivrance.

    Si dans la première partie Flaubert parle lui à la première personne, dans la deuxième c'est son scribe, Régis Jauffret qui se charge avec gourmandise d'évoquer sa vie à commencer par sa mort à la suite de ce fameux bain, de lui faire rencontrer, par le seule force de son imagination, certains de ses personnages, et notamment Emma Bovary, qui règlent peu ou prou leurs comptes avec lui comme un jugement dernier littéraire. Jauffret en profite même pour reprendre à son compte les œuvres de Flaubert et leur donner une suite à sa manière. La deuxième partie est encore plus délirante et déjantée que la première, l’ensemble le style est alerte et plein d'humour et le « chutier », à la fin, avec une police plus petite, comme sur la pointe des mots, est comme un supplément de texte laissé à l’appréciation du lecteur.

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