la feuille volante

Stefan Hertmans

  • Le coeur converti

     

    La Feuille Volante n° 1358 Juin 2019.

     

    Cœur converti – Stefan Hertmans – Gallimard.

    Traduit du néerlandais par Isabelle Rosselin.

     

    Au début du XI° siècle, à l’ère des croisades, Vigdis, une belle jeune fille de la bonne bourgeoisie rouennaise catholique, noble par sa mère, se convertit au judaïsme par amour pour David, étudiant à Rouen, le fils du grand rabbin de Narbonne. Elle devient donc Hamoutal. Elle a envie de liberté et rejette la vie rangée qui lui est promise et suit donc David. C’est une remise en question radicale en ce haut Moyen-Age, une percée dans l’inconnu et le danger. Ils fuiront ensemble jusqu’à Narbonne entre les pogroms, le lancement de la 1° croisade par Urbain II, et les conflits internes dans les régions traversées. Ils doivent se méfier de tout le monde, déjouer les pièges et braver les dangers. Le père de Vigdis ne l’entend pas de cette oreille et demande aux croisés de la rattraper. Les deux amants doivent donc les éviter autant que possible et ne pas éveiller l’attention des personnes rencontrées en chemin, mais David est assassiné à Monieux, en Provence, où ils se sont réfugiés et ses deux enfants enlevés par les croisés. Vigdis va dès lors devenir un fuyarde à leur recherche et ses pérégrinations l’amèneront jusqu’au Caire en passant par la Sicile. Telle est l’histoire de la fille chrétienne d’un viking qui devient la belle-fille d’un grand rabbin du sud de la France puis plus tard l’épouse d’un juif important du Caire. Le narrateur qui fait, mais en voiture puis en bateau, quelques siècles plus tard ce chemin d’errance, communique au lecteur les périls rencontrés par les deux amants puis plus tard par Vigdis seule guidée par l’espoir de retrouver ses enfants.

    Tout ce récit part d’un authentique document historique, notant l’existence de cette femme et de son choix exceptionnel pour l’époque, évidemment romancé, découvert par l’auteur dans les archives du village de Monieux où il réside et où, mille ans plus tôt a été perpétré un pogrom consécutif à l’esprit de la croisade. En effet, par ces massacres, il convenait de punir les juifs d’avoir condamné le Christ et aussi les châtier pour leurs richesses. Plusieurs siècles plus tard, il a suivi cette femme jusqu’en Égypte l’auteur a découvert un document attestant du périple d’une jeune noble normande. Son long travail de recherche s’est doublé d’une démarche d’empathie à son égard, d’une belle érudition et d’un style somptueux.

     

    Je suis bouleversé par cette preuve d’amour de Vigdis envers David ; il m’est difficile d’imaginer que cela est possible. Sa dangereuse pérégrination me rappelle que l’aventure humaine est mystérieuse, longue pour certains et brève pour d’autres et ce sans aucune raison et que l’explication qu’on peut y donner se perd entre hasard, chance et destin sans qu’on soit capable d’en démêler les fils. Ce roman évoque aussi l’antisémitisme qui est la forme la plus ancienne du racisme, solidement ancré dans l’espèce humaine. Je me suis toujours demandé pourquoi ce sont les juifs, un communauté tranquille, qui étaient à l’époque l’objet de ces tueries et de cette haine. Certains d’entre eux étaient des banquiers et en les tuant on tuait aussi leurs créances mais il y avait chez eux aussi des pauvres qui n’échappaient pas pour autant au massacre. Au Moyen-Age l’emprise de l’Église catholique était telle qu’elle gouvernait les institutions et les consciences, manipulait l’opinion, et il lui a été facile de susciter cette détestation des juifs qu’elle considérait comme les meurtriers du Christ. Elle était surtout l’incarnation de l’intolérance, voyait la marque du diable partout et la justice expéditive qu’elle exerçait ou suscitait sans aucun discernement ne jurait que par le bûcher. L’esprit de la charité chrétienne et de l’Évangile était bien loin de ses actes. C’est peut-être cela aussi, avec également l’indulgence plénière, qui a motivé les chevaliers à partir en croisade délivrer le tombeau du Christ, encore que, auparavant, les occidentaux vivaient sur les terres d’Orient en relative paix avec les musulmans et les croisades n’ont pas atteint leur but, certaines s’arrêtant en chemin pour tuer et piller les villes, notamment Constantinople. Elles se sont révélées, non comme un pèlerinage armé, mais comme des opérations militaires dont l’époque était coutumière et qui s’inscrivaient dans le cadre de la lutte défensive contre l’expansion arabe en occident. On pourrait penser que les choses ont aujourd’hui changé, que les mentalités ont évolué avec le temps mais aux pogroms du Moyen-Age a succédé la Shoah et les attaques actuelles contre les juifs prouvent que ce vieux fond d’antisémitisme est bien ancré dans nos civilisations.

    J’ai bien aimé ce roman, cette fresque historique est particulièrement émouvante.

    ©Hervé Gautier.http://hervegautier.e-monsite.com