la feuille volante

PETITES SCENES CAPITALES- Sylvie GERMAIN



N°719 – Janvier 2014.

PETITES SCENES CAPITALES- Sylvie GERMAIN – Albin Michel.

Tout commence par une question face à une photo comme seuls les enfants savent naïvement en poser, embarrassante surtout si c'est la grand-mère qu'on sollicite face à un cliché pris à la maternité. Il est difficile de s'imaginer que le temps à passé que les corps se sont transformés et quand les interrogations se font plus précises, sur l'avant-naissance, sur la sexualité, cela devient plus compliqué. Les histoires de choux et de roses qui ont pourtant duré longtemps ne prennent plus. Lili, cinq ans, ne fait pas exception mais son histoire à elle se complique un peu. Sur la photo qui la représente à sa naissance avec sa mère, il y a forcément des demandes supplémentaires. Cette femme a quitté son mari peu de temps après alors que sa fille n'avait que onze mois et s'est noyée de sorte que cette petite enfant n'a pas eu l'occasion de l'appeler maman. De son côté, son père s'est remarié avec Viviane, ancien mannequin de chez Patou qui forme avec lui une famille recomposée surtout qu'elle est accompagnée de trois filles et d'un garçon. Lili, fille unique de ce père doit donc déménager et quitter l'ancien appartement familial près du jardin public et de ses oiseaux. De plus, elle s'aperçoit à l'école que Lili est un surnom et qu'elle se prénomme en réalité Barbara ce qui, bien entendu lui pose question et renforce ses doutes. Le traumatisme de son changement de vie l'incite à penser que cette substitution de prénom est une erreur mais surtout que l'erreur c'est elle, qu'elle est un oubli, une fille surnuméraire en quelque sorte qui a « l'impression de n'occuper qu'un strapontin au fond du théâtre affectif de la famille ». Elle prend conscience qu'elle n'est plus le centre de cette nouvelle vie et que son père lui échappe de plus en plus. Elle est donc plus observatrice qu'actrice de cette enfance qui est la sienne et cette posture de retrait affectera son adolescence et sa vie de femme dans l'étourdissement de Mai 68, de ses slogans qui se voulaient révolutionnaires, l'illusion de liberté des hippies, la constante recherche de sa place dans le monde à travers des amours de passage et des essais professionnels plus ou moins avortés et la recherche du père.

Dans cette nouvelle fratrie, il y a des règles jusque là inconnues, chacun délimite son territoire et cela provoque chez Lili-Barbara une sorte de mal de vivre qui la fait osciller entre le désir de vivre et l'attirance vers la mort d'autant que le décès de sa grand-mère fait resurgir des images désuètes et faussement religieuses qu'elle ne comprend pas. Elle renvoie à celle de sa mère dont elle ne sait rien et cela devient obsédant. Cette fratrie un peu hétéroclite se verra aussi décimée par la mort et par la fuite de la cellule familiale. Au cours de ce roman des révélations se font au hasard des rencontres, des prises de conscience aussi. Lili apprend par petites touches l'histoire de cette parentèle d'occasion autant que lui est révélée la véritable raison de son changement de prénom. Elle se réappropriera celui de Barbara, à cause de Jacques Prévert ou de « longue dame brune », mais pas seulement.

Ce sont donc 49 scènes capitales où se dessine la vie de Lili-Barbara. L'écriture est légère, fluide, agréable à lire. Dans les descriptions, j'ai retrouvé avec plaisir la dimension poétique que j'avais notée lors de la lecture de romans précédents (La Feuille Volante n°75 – n°311). Elle adoucit les thèmes existentiels de prédilection de Sylvie Germain, la mort et l'absence, le pessimisme, la résignation, le fatalisme, une réflexion sur l'amour et le traumatisme d'enfance dont on ne peut guère se libérer malgré les années, le délitement de la cellule familiale qu'on voulait pourtant préserver et faire perdurer, la mort des enfants, le besoin de se raccrocher à quelque chose même s'il n'y a plus rien, l'errance, l'abandon, la solitude, la recherche de l'identité, la vanité des choses de cette vie, l’ambition et l'envie d'exister qui sont immanquablement broyées ce qui instille en vous la certitude de n'être rien, qu'une ombre, qu'un leurre qui caracole d'une rive à l'autre sans autre but que s'empêcher de penser aux réalités et au temps qui passe[« le temps poursuit en elle un long travail d'émondage et de creusement »]. Elle nous rappelle que notre passage sur terre n'est pas une chose facile à vivre, à accepter. Elle l'évoque dans toute sa cruauté, loin de la transcription idyllique des poètes et de l'hypocrisie coupable de la religion quand le Dieu qu'elle est censée honorée est si cruellement absent de la vie des hommes, ses créatures !

Du temps a passé pour Lili-Barbara depuis ces questions naïves devant une photo de sa lointaine enfance. Des morts ont jalonné ce parcours cahoteux, des illusions se sont dissoutes, des certitudes se sont enfuies mais les souvenirs restent qui embellissent les choses même si perdure cette impression bizarre que tout cela n'a servi à rien.

A titre personnel, il m'arrive rarement de me sentir à ce point concerné par un roman qui est avant tout une fiction, un exercice de style, une histoire romancée.

©Hervé GAUTIER – Janvier 2014 - http://hervegautier.e-monsite.com

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