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la feuille volante

Tiffany Tavernier

  • Roissy

    La Feuille Volante n° 1310

     

    Roissy Tiffany Tavernier -Sabine Wespieser éditeur.

     

    Roissy-  Aéroport international ; Rien que le nom fait rêver parce qu'il est synonyme de voyage, de départ, de dépaysement et voir les avions décoller, regarder les panneaux de destination et entendre les gens parler toutes les langues, les voir arborer des costumes improbables, c'est déjà partir loin sans bouger des salles de transit. La magie opère en permanence. C'est ce que, apparemment vient ici chercher cette femme et les baies vitrées qui ouvrent largement vers l'extérieur donnent l'image de l'ailleurs, nourrissent les fantasmes autant qu'elles nous renvoient partiellement notre propre image, alliant ainsi l'immatérialité du rêve à la banalité de notre existence. Être ici ne tient pas forcément du hasard. Pourtant, la narratrice qui se fait appelée Anna parce qu'elle a oublié jusqu'à sa propre identité, traîne derrière elle une valise comme un voyageur pressé, un peu perdu dans ce dédale de couloirs. Le lecteur peut donc la supposer en transit entre deux vols pour ses affaires ou ses loisirs, mais il n'en est rien, elle joue ici un rôle, ment constamment. ne bouge pas de cette zone, elle y a trouvé son bagage, se change en permanence à l'aide de vêtements qu'elle a volés pour ne pas attirer l'attention des caméras et des vigiles, marche constamment de terminal en gare TGV, mange la nourriture des poubelles, dort dans les galeries souterraines de Roissy, Bref, elle vit ici, avec cependant la peur de se faire arrêter, s'invente en permanence une vie artificielle dans ce lieu fréquenté par des SDF mais aussi par des travailleurs pauvres qui viennent passer la nuit ici parce que la rue leur fait peur, Sa vie antérieure lui revient par bribes mais elle préfère rester dans cet univers où elle disparaît, où elle est transparente. Un aéroport est le lieu idéal pour faire des rencontres : avec elle il y a Vlad, Josias, Liam, Joséphine, tous aussi paumés qu'elle et qui, eux aussi, tentent de survivre ici oubliant leur passé qui donne le vertige, la nausée parfois.

    Elle croise aussi cet homme, Luc qui attend désespérément un vol qui ne viendra plus et dans lequel sa femme a trouvé la mort. Sa vie est maintenant hantée par son fantôme. Anna ne peut lui parler et une équivoque s'installe entre eux, Luc supposant qu'elle a, elle aussi, perdu quelqu'un dans un crash. Si l'une a perdu la mémoire mais joue un rôle et fuit résolument, l'autre au contraire est obsédé par ses souvenirs et souhaite de bonne foi refaire sa vie avec elle. Ainsi par une sorte d'effet miroir cette confusion va s'affermir, elle continuant à lui mentir et à le repousser, lui s'accrochant à elle désespérément . On comprend pourquoi Luc attend à l'aéroport un vol qui n'arrivera plus mais Anna, elle, se réfugie ici, s'y claquemure au point de ne pouvoir être ailleurs parce que c'est ici qu'elle est chez elle et qu'elle peut tracer autour d'elle des cercles qui l'isolent du monde et de ses obsessions,

     

    J'ai eu quand même un peu de mal à suivre, surtout dans l'attachement qu'elle porte à Vlad alors que Luc lui offre une chance de retrouver une vie normale. Elle le fuit mais en réalité l'attend dans ce lieu à la fois immense et minuscule parce que, finalement, il représente sans doute pour elle une sorte de retour à la vie qui vaut plus que la mort, mais c'est un retour progressif, comme hésitant. Pour moi, entrer dans cette histoire, un peu difficile à croire à été laborieux, Elle est pourtant bien écrite et bien construite malgré quelques longueurs. Le Livre refermé, j'ai l'impression d'avoir suivi Anna qui en réalité reprend à la fin son véritable prénom, Maude, en même temps qu'elle semble s'éveiller de quelque chose qui ressemble à une période entre parenthèses qui se termine dans le brouhaha d'un aéroport où tous les vols sont annulés à cause d'un volcan qui a explosé à l'autre bout du monde. Toute la planète est paralysée par ses cendres et, un peu comme pour Maude, la vie s'est arrêtée à cause des souvenirs qui la hantent. Pendant cette période qui n'a duré sans doute que le temps d'un malaise, ses obsessions sont revenues à la surface, celles où la mort est présente. Celles de Vlad lui seront fatals, alors qu'Anna réussira, peut-être malgré elle à s'en libérer. Comme elle, parce que notre quotidien ne nous convient pas, ne correspond pas à l'idée que nous nous faisions de notre vie, nous traînons tous avec nous des certitudes et des espoirs déçus qui embourbent notre parcours et qui sont à ce point angoissants qu'ils reviennent même dans nos rêves ou dans nos périodes d'inconscience. Pour les combattre notre imagination entre en action parce qu'elle est une compensation, certes artificielle, mais qui, tant que dure son effet, nous aide à vivre ou à survivre. Nous refaisons notre monde, le remodelons aux contours de nos fantasmes et de nos illusions, un peu comme cette tranche de vie qu'elle mène en marge, dans ce monde souterrain un peu irréel. Certes tout cela ne sert à rien, nous nous mentons à nous-mêmes et le réel reprendra rapidement ses droits mais au moins la vie, qui est un bien fragile mais unique, s'est imposée face à la mort qui reste une solution facile et avec elle la résilience, la renaissance, un nouveau départ… Ce malaise, cette période d'inconscience, a aidée Anna-Maude à se défaire de ses obsessions prégnantes et finalement malsaines. En se réveillant, les choses pour elle reprennent leur vraie place mais elle est libérée de ses chimères et c'est sans doute l'essentiel.

     

    ©Hervé GAUTIER – Janvier 2019.http://hervegautier.e-monsite.com