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la feuille volante

La petite pièce hexagonale

La Feuille Volante n° 1204

La petite pièce hexagonale – Yoko Ogawa – Actes Sud.

Traduit du japonais par Rose-Marie Makino-Fayolle.

 

Le mal au dos est le mal du siècle et en tant que secrétaire, la narratrice en souffre. C'est donc tout naturellement que son médecin lui conseille la piscine, lieu où elle rencontre par hasard Midori, une inconnue aussi banale que silencieuse qu'elle croise quelques jours plus tard accompagnée d'une vieille dame. Elle les suit jusqu'à une loge de concierge d'immeuble où elles semblent attendre leur tour. Le plus étonnant est que la plus âgée entre dans une haute armoire qui donne accès à un espace hexagonal, « la pièce à raconter ». Cela m'évoque à la fois le rituel de passage d'un monde à un autre autant que ces grandes armoires qui étaient souvent le refuge des enfants mais on peut tout aussi bien y voir la silhouette d'un confessionnal. C'est le début d'un récit assez surréaliste où cette femme, à travers un monologue et dans cet espace restreint, confie au silence, ses préoccupations les plus intimes et son appétence pour la vie solitaire.

 

J'ai lu ce court roman comme une fable philosophique mais je suis assez peu entré dans le récit personnel de cette femme, de son histoire chaotique et finalement désastreuse avec Michio, son amant et de son mal au dos chronique qui est peut-être la marque de sa culpabilité au regard de son couple. Finalement la haine qu'elle porte à cet homme pourtant prévenant, patient et bien entendu amoureux d'elle, est incompréhensible mais sa démarche intimiste de parole dans « la pièce à raconter » n'apporte aucune explication. De même pour la réflexion, d'ailleurs assez rapidement menée, sur le destin et le hasard qui est une interrogation traditionnelle autant qu'une énigme récurrente sur le sens de la vie et qui restera sans doute définitivement sans réponse. En revanche, je me suis intéressé au phénomène de la parole dont je ne suis plus très sûr qu'elle soit aussi libératrice qu'on veut bien le prétendre. Qu'elle soit, comme c'est le cas ici, exprimée sous forme de monologue traduit, à mon sens, davantage un phénomène de société où l'individu est de plus en plus seul, ou qu'elle prenne la forme un peu plus ambiguë de l'écriture qui est une autre manière de parler tout seul. Je note que, dans une société où le partage de la parole est de plus en plus grand, le soliloque me paraît bizarrement très répandu et les gens se sentent de plus en plus solitaires, même au sein de la famille et du couple. J'en veux pour preuve la pratique de plus en plus grande de l'écriture notamment grâce notamment aux réseaux sociaux. Chacun s'y exprime souvent à titre personnel sans qu'il y ait vraiment d'échanges constructifs et cela débouche souvent sur la polémique. Auparavant on confiait le rôle d'écoutants aux curés de paroisses à travers la confession mais la réponse qui était donnée, inspirée par la parole de Dieu, supposait la foi religieuse et l'observation des sacrements, autant que la nécessité de se libérer de ses fautes en les avouant, pratique qui de nos jours est bien émoussée. Maintenant que les églises sont vides et qu'on se méfie des ecclésiastiques, d'ailleurs de plus en plus rares et qui faillissent à leur mission, ce rôle est dévolu aux psychiatres qui s'acquittent de cette tâche avec des résultats parfois inégaux. De plus en plus les individus éprouvent le besoin de combler par la parole solitaire le vide de leur existence.

 

Je ne sais comment s'en tirera cette narratrice après le départ de cette « pièce à raconter » qui est itinérante, ce qui traduit bien son rôle qui se veut universel. Je ne sais pas comment interpréter la haine qu'elle porte à son ancien amant ni les relations éphémères qu'elle a eues avec le céramiste mais elle avoue elle-même qu'elle a agi ainsi «  pour s'enfoncer de plus en plus dans (la) boue de sa conscience ». La résilience qui fait aussi partie de la vie et de la thérapie a en elle-même des ressources insoupçonnées qui viendront sans doute à son secours à moins que sa propre mauvaise foi et l’auto-persuasion ne l'aident aussi pour la convaincre de la haine qu'elle porte à Michio est exclusivement de sa faute à lui.

 

Au départ, ce récit m'a séduit par son originalité mais rapidement, nonobstant le style agréable à lire, j'ai vite décroché, à cause sans doute des questions soulevées et qui restaient en suspens ou de la fin du récit un peu trop facilement précipitée.

 

 

 

© Hervé GAUTIER – Janvier 2018. [http://hervegautier.e-monsite.com]

 
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