la feuille volante

UN HOMME ORDINAIRE – Yves Simon

N°664– Juillet 2013.

UN HOMME ORDINAIRE – Yves Simon – Nil Éditions

J'ai toujours été interpellé par un des rôles qu'on fait jouer à l'écriture, surtout quand elle prend la forme d'un texte que le destinataire ne pourra lire puisqu'il n'est plus là. Les mots que j'ai lus dans cette évocation sont remplis de l'amour d'un fils pour son père après la mort de ce dernier, mais il m'a semblé à la fois tardif et plein de remords, comme si ce garçon était passé à côté de quelqu'un et que maintenant il le regrettait. J'ai lu entre les lignes que cela n'a pas dû être facile ni pour l'un ni pour l'autre (« Et tu filais dans la chambre comme un chien qui reconnaît, au ton de la voix aimée, qu’elle vient de le blesser »). L'auteur s'interroge sur la nature même du père et sur la supposée fonction d'exemple qu'il est censé incarner (« Je n'ai jamais souhaité te ressembler...Tu ne fus pas mon modèle », « J'avoue que j'ai honte. Honte d'avoir parfois eu honte de toi devant mes camarades de classe. » « Tu étais le symbole flagrant de cette condition blessante que je me mis à détester » « Je n'ai jamais rien su de tes désirs, ni ceux du présent ni ceux de l'avenir »). Cet homme l'a sûrement aimé, mais à sa manière, comme au sortir de la guerre on concevait la famille, pas forcément chaleureuse mais unie et consolidée par les épreuves parce qu'on ne divorçait pas aussi facilement que maintenant, parce que les choses et les relations entre personnes étaient sans doute différentes.

C'est à travers lui que l’auteur, enfant unique de ce couple, choisit d'évoquer vingt ans de sa vie. L'enfance vosgienne dans une famille prolétaire, son père cheminot, poseur de voies c'est à dire travailleur au bas de l'échelle sociale et professionnelle, une mère serveuse puis infirmière. Quelques photos un peu jaunies attestent cette période pas vraiment malheureuse mais difficile, un accordéon puis une guitare en cadeau pour l'initiation, un incontournable Teppaz et le juke-box du café d'à côté qui qui font découvrir une autre musique que celle du bal-musette, les jupes des filles dont l'internat le priva, la lecture puis l'écriture comme le symbole d'une évasion, d'une vocation. A l'époque on fondait plus facilement un groupe de rock qu'on ne devenait écrivain, c'est donc ce qu'il fit, et, comme tout adolescent, il se démarqua de sa famille. Son père n'était pas absent mais plutôt étranger à ce parcours musical même s'il se passait sur des scènes de sous-préfecture.

Pour son père, c'était un autre monde, une autre planète. Il était bien ordinaire cet homme, André, qui était son père et qu'un cancer terrassa. Il lui a tout pardonné, son côté bourru, ses silences sur lui-même, ses trous de mémoire, ses stations au café d'où il revenait parfois enivré, ses accès d'autorité, sa condition de travailleur pauvre, les malentendus et les maladresses qui éloignèrent le père et son fils parce plus le temps passait plus l'un et l'autre évoluaient dans deux mondes différents. Pourtant il y eut bien des moments de complicité mais inexorablement ces deux êtres se séparèrent parce que c'était dans l'ordre des choses et que les enfants expriment une sorte d'incompréhension, de contestation, voire de rébellion par rapport à leurs parents, pour peut-être mieux les comprendre ensuite et probablement revenir de leurs erreurs.

La vie ne fait de cadeau à personne et chacun y fait ce qu'il peut. André y fut «  de ceux qui n'exigent rien parce que, depuis toujours, ils ont accepté que leur vie soit ainsi : un combat perdu d'avance.», un être qui ne laisserait jamais de trace après son passage sur terre... Yves lui laissera des mots et de la musique qui se sont imprimés dans la mémoire collective et c'est quand même grâce à ce père qui fit ce qu'il put pour son fils, même maladroitement (« Tu fus le faiseur de miracles qu'il me fallait pour que je puisse m'envoler »).

Yves Simon avait déjà beaucoup écrit sur sa mère. Ce récit, en fait une longue lettre qui se lit facilement, vient-il réparer une omission longtemps entretenue par l'incompréhension familiale ? Je ne peux croire qu'il s'agit là d'un oubli involontaire. Je ne sais pas pourquoi, mais j'ai eu du mal à lire ici un véritable hommage à ce père disparu. J'y ai vu plutôt une sorte de témoignage un peu tardif d'un fils intellectuel qui avait, pendant ses années d'enfance et d'adolescence supporté et peut-être un peu méprisé un père ouvrier et qui, à l'âge adulte rattrape avec honte et culpabilité cette attitude. Pendant ces vingt ans, il me semble qu'il y a eu plus que le cancer du larynx qui a tué André !

C'est la première fois que je lis cet auteur. Ce fut un moment agréable de lecture plein de nostalgie, de poésie et de remords. Ce que je retiens aussi c'est la phrase en exergue de Louis Ferdinand Céline qui s'y connaissait et qui doit bien s'appliquer à cet André qui n'a jamais dû être heureux : « La plupart des gens ne meurent qu'au dernier moment ; d'autres commencent à s'y prendre vingt ans à l'avance. Ce sont les malheureux sur terre. »

© Hervé GAUTIER - Juillet 2013 - http://hervegautier.e-monsite.com









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