Les exilés meurent aussi d'amour
- Par hervegautier
- Le 08/11/2024
- Dans Abnousse Shalmani
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N°1943– Novembre 2024.
Les exilés meurent aussi d’amour. – Abnousse Shalmani – Grasset.(2018)
Shirin , neuf ans, arrive de Téhéran avec ses parents à Paris. Ils fuient la révolution islamique et retrouvent en France les sœurs de sa mère, Mitra, autoritaire, perfide, Tala et Zizi, communistes et dominatrices qui les hébergent. C’est l’histoire de cette famille d’exilés pauvres, les Hedayat, la mère enceinte (elle mettra au monde un fils qui deviendra un empoisonneur) est effacée et esclave de ses sœurs, prisonnière des traditions qui brident son amour pour ses enfants, mais aussi magicienne du quotidien et accessoirement voyante dans le marc de café. Le père est un homme brillant, cultivé mais résigné face aux critiques de ses belles-sœurs, le grand-père est morphinomane, autoritaire et pervers. Rien à voir avec leur vie d’avant en Iran. Une fugue de Shirin lui permet de connaître Omid, l’amant de Tala. C’est lui, un juif, qui lui donnera des cours de français et dont elle tombera amoureuse et grâce à qui elle prendra conscience d’elle-même. Il sera le grand amour de sa vie. C’est lui aussi qui lui montrera comment rire de tout. Puis ce sera Amid, un terroriste, qui viendra compléter le tableau. Shirin est l’’héritière d’une famille décalée et quelque peu honteuse et parle d’abondance de l’exil à travers son enfance, son adolescence et de l’âge adulte, évoque la découverte de la France, de sa culture, de son art de vivre, des plaisirs de l’amour à travers ses compagnons, pas forcément amants, jeunes révolutionnaires de salon mais qui ne manqueront pas de s’embourgeoiser avec le temps, les soubresauts et l’absurdité de la révolution avec l’argent et les violences. Pour tout ce petit monde français elle reste cependant une métèque
Abnousse Shlmani, journaliste dont j’ai toujours plaisir à écouter les chroniques télévisées, née à Téhéran n’est française que depuis peu de temps et donc héritière de deux cultures, de deux langues. L’exil reste, cependant, dans ce premier roman de cette auteure, largement teinté d’autobiographie mais aussi, par la magie de l’écriture, d’un peu de fiction. Il est au centre d’une démarche complexe qui tient à la volonté de s’intégrer à son nouveau pays, notamment par l’apprentissage de sa langue, sans oublier ses racines persanes, une manière d’exister entre souvenir et espoir. Ainsi mêle-t-elle dans ce livre des pans de notre histoire, de nos coutumes aux traditions et contes orientaux, réels ou imaginés, découvre la vie de France des années 80 mais aussi le terrorisme, la politique, la vie de ses proches parfois marginaux et idéalistes mais aussi celle de sa famille, engluée dans le silence, les mensonges et les non-dits. Il y a cette empreinte, un métissage assumé qui fait sa richesse intérieure et également la fierté de notre pays. Au fil des pages le lecteur fait connaissance avec Shirin, son enfance, son adolescence quelque peu perturbée, elle grandit dans une atmosphère révolutionnaire, devient petit à petit une femme avec sa volonté de séduire mais aussi avec cette envie d’exprimer ce qui se passe en elle, d’y mettre des mots, de devenir écrivain. Elle refait l’histoire mouvementée et parfois cachée de sa famille, de son ascendance, une manière de se découvrir et de s’accepter elle-même, de conjurer le destin, d’admettre sa condition de métèque, coincée entre l’orient et l’occident mais aussi comme une fierté constructive. Ainsi se fait-elle aussi l’apôtre de la liberté si contestée dans son pays d’origine et plus spécialement celle des femmes dans leur combat pour leur droit à exister en tant que telles, de ne plus porter le voile que le pouvoir politico-religieux leur impose et de disposer librement de leur corps. Cela remet la femme au centre du présent et je trouve cela très bien.
J’ai lu ce roman avec curiosité et attention à cause sans doute de la généalogie compliquée de cette famille parfois toxique et des sursauts qui l’affectent mais aussi par les informations qu’il contient sur la culture persane; j’ai bien aimé cette lecture. Ça se lit bien, c’est écrit avec une passion et un certain humour qui est aussi une arme efficace contre l’adversité. Tout cela a créé pour moi un attachement que je ne m’explique pas moi-même et qui est en tout cas bien différent de ce que procure une lecture ordinaire. Le livre refermé, j’ai le sentiment d’être entré, à son invite, dans la vie de Shirin, de sa passion pour l’écriture et pour son pays d’adoption.
A titre plus personnel, et toutes choses égales par ailleurs, l’ histoire un peu mouvementée de cette famille m’a redonné le goût d’écrire.
C’est donc un roman riche en émotions et rebondissements et pour moi une véritable invitation a explorer davantage l’univers créatif de cette auteure.
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