Histoires de guerre et d'intimité
- Par hervegautier
- Le 27/06/2018
- Dans Alberto Moravia
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La Feuille Volante n° 1257
Histoires de guerre et d'intimité – Alberto Moravia – Flammarion.
Traduit de l'italien par Simone Casini et Francesca qui en ont également établi l'édition.
Ce que j'aime chez Moravia, outre son style fluide et agréable à lire, ce qui est toujours un plaisir, c'est l'observation des choses de la vie et l'analyse pertinente qu'il en fait. Ces nouvelles, écrites par l'auteur entre 1928 et 1951 en sont une preuve supplémentaire et nous concernent tous. Elle sont, selon les éditeurs, des « Nouvelles dispersées » dont beaucoup avaient déjà été publiées dans la presse avant de l'être sous forme de recueil.
Dans une vie où tout est terne, n'avons nous pas, n'avons nous pas la tentation d'avoir recours à notre imagination pour lui donner plus d'éclat ? Même si le résultat est bien souvent nul ! L'auteur excelle dans l'évocation qu'il fait des relations amoureuses, l'analyse de la faute, de l'adultère qu'on commence par regretter quand il est découvert, qu'on justifie ensuite pour se donner bonne conscience avec la volupté d'être en tort, coupable d'avoir transgresser un interdit, au point qu'on se promet de renouveler l'expérience à la première occasion, le moment d'orage passé. Les relations intimes entre les hommes et les femmes l'intéressent donc plus particulièrement. Elles sont faites d'amour, de sexe, d'érotisme mais aussi de silences, de non-dits, de mensonges, de trahisons, d'adultères. Il les analyse avec l’œil aiguisé d'un observateur de la condition humaine qu'il porte spécialement sur les femmes à cause peut-être du fait qu'une littérature complaisante les a longtemps parées de la vertu artificielle que confère le rôle de donner la vie et d'être le garant de la stabilité de la famille, le rôle de l'infidélité étant traditionnellement réservé aux hommes. Il y a sans doute quelque plaisir à tromper ceux qui sont autour de nous et qui nous font confiance et personne ne peut raisonnablement jurer qu'on n'en sera pas capable parce qu'ainsi on aura l'impression d'être différent, peut-être plus malin, plus désirable que le commun des mortels et on se sent autorisé à prendre ce genre de liberté en jetant par dessus les moulins l'amour qu'on vous porte.
Un peu selon son habitude Moravia met en scène des décors et des personnages bourgeois avec des femmes qu'il aime à présenter comme belles, sensuelles et parfois érotiques, ce qui, dit-on lui coûtât un prix Nobel pourtant largement mérité.
Ce recueil cède aussi à la réalité, celle que l'auteur a vécu pendant cette période de guerre où il dût, pour échapper au fascisme, parce qu'ils était un opposant à ce régime mais aussi parce qu'il était juif, se réfugier dans les montagnes près de Naples, avec son épouse. Ce fut une période de neuf mois où il mena une vie rustique, dépouillée, parmi les paysans, dans la crainte des Allemands qui se battaient avec un certain désespoir et les Alliés attendus impatiemment. Là il abandonne la fiction pour évoquer cette période mouvementée où il est plus question de la peur de mourir, de la faim, des bombardements… Il n'oublie pas son traditionnel regard critique porté sur l'espèce humaine, capable du pire comme du meilleur, mais surtout du pire avec hypocrisies, mensonges et fourberies parce que ce genre de période où la vie est en jeu réveille des valeurs parfois enfouies de solidarité, d'hospitalité mais aussi de recherche du profit, de trahison ou pire encore. Il y a chez lui une manière d'angoisse existentielle, de pessimisme que n'auraient pas désavoué Sartes et Camus, une sorte d'ennui de vivre mais aussi, peut-être en réaction et illustration à celle-ci, un univers créatif fait de manipulations, de perversions, de voyeurisme.
Je suis assez partagé après cette lecture qui me laisse une impression inégale. Certes, comme je l'ai déjà dit dans cette chronique, sélectionner des nouvelles pour en faire un recueil est une chose difficile et délicate mais, à titre personnel, lire Moravia correspond toujours à un bon moment .
© Hervé-Lionel – Juin 2018. [http://hervegautier.e-monsite.com]
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