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la feuille volante

La femme-léopard

La Feuille Volante n° 1254

La femme-léopard – Alberto Moravia – Flammarion.

Traduit de l'italien par René de Ceccatty.

 

Au début de ce roman, Lorenzo, journaliste, décide d'aller au Gabon pour un reportage, en compagnie d'un ami plus vieux que lui, Flavio, entrepreneur de travaux publics, chargé d'y construire une route et également copropriétaire du journal qui l'emploie. Nora, l'épouse de Lorenzo doit être du voyage mais refuse dans un premier temps, l'épouse de Flavio, Ada, devant rester en Italie. Finalement les deux femmes accompagneront leur mari en Afrique. Les deux couples se reçoivent et rapidement s'établit entre eux une relation de séduction sur fond de désamour conjugal, de jalousie, d'attirance mutuelle, de mensonges et de travestissements de la réalité pour le plaisir ou la provocation. Lorenzo un peu naïf, simplement amoureux de sa femme et pas désireux du tout de la tromper, assiste à ce jeu de blandices entre Nora et Flavio mais ressent aussi pour Ada un désir partagé. Ainsi, en Afrique, s'installe entre ces deux couples une ambiance un peu bizarre faite de jalousie, de sexe, de non-dits et de silences, de refus et d'accords passionnés entre fidélités maladroites et désirs fougueux, dans un contexte bourgeois et mondain. Ils sont heureux en ménage et ne peuvent qu'être malheureux en adultère, le savent, mais sont désireux de tenter une expérience extraconjugale sans qu'on sache si elle est vraiment menée à son terme, peut-être pour mieux resserrer leurs liens intimes. C'est un peu comme si le sexe de contrebande était indispensable à la stabilité de leur couple. Ada se sait trompée mais reste irrémédiablement fidèle à son mari, malgré ses velléités extraconjugales toujours avortées, quant à Lorenzo, il hésite toujours.

Le fait que Flavio veuille séduire la femme de Lorenzo n'est pas vraiment une lutte d'homme à homme mais une relation subtile de supérieur à inférieur, Lorenzo étant, de part sa position dans le journal, dépendant de Flavio, ce qui trouble un peu le jeu entre eux entre le patron et l'ami, entre le journaliste qui se veut indépendant et veut dénoncer les ravages écologiques causés par la construction de la route et l'organe de presse qui peut difficilement le faire, entre le séducteur impénitent qu'est Flavio et l'amoureux de son épouse qu'est Lorenzo, le tout sur fond d'atermoiements amoureux et félins de Nora, la « femme-léopard », son esprit apparent de tolérance en ce qui concerne les relations supposées de son mari et d'Ada, le secret qu'elle entretient sur les siennes avec Flavio. Il plane sur les rapports qu'ils ont avec l'autre conjoint une atmosphère de mystère. Une autre lecture intéressante est celle de la 4° de couverture qui est un extrait d'une conversation avec l'auteur où il parle de son expérience, de l'importance de la femme et de l'amour qu'elle donne, essentiel dans la vie de l'homme, de la jalousie aussi. « On peut aimer et tromper, l'amour n'empêche pas l'infidélité, le sexe est infidèle, le cœur ne l'est pas » déclare-t-il. Nous avons tous dans ce domaine un vécu, ou nous l'aurons un jour, et je ne suis pas sûr, à titre personnel, de partager complètement son analyse. Ses personnages, comme souvent, sont conscients de l'inauthenticité des rapports qu'ils vivent avec les autres mais aspirent à autre chose sans toutefois pouvoir y parvenir. Chez lui le sexe fait partie de ces buts inatteignables sous les apparences ici du double triangle amoureux. L'épilogue laisse le lecteur (et Lorenzo) dans le doute sur la réalité des relations entre Flavio et Nora, laquelle oppose un fin de non-recevoir aux questions pressantes de son mari., ce qui épaissit encore le secret que les entoure.

Lire un roman de Moravia a toujours été pour moi un grand moment de lecture non seulement par la qualité de son écriture (ici les descriptions des paysages africains) mais aussi d'une l'analyse particulièrement fine et impitoyable où il dissèque les relations intimes, sexuelles et psychologiques de chacun des personnages. A lire la postface, ce roman, qui est le dernier de l'auteur, a été particulièrement travaillé, comme s'il voulait, de cette manière, prendre congé de la vie.

© Hervé-LionelJuin 2018. [http://hervegautier.e-monsite.com]

 
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