Dieu-Denis ou le divin poulet
- Par hervegautier
- Le 02/05/2019
- Dans Alexis Legayet
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La Feuille Volante n° 1339 – Mars 2019
Dieu-Denis ou le divin poulet – Alexis Legayet – Éditions François Bourin.
Tout d'abord je remercie les éditions François Bourin de m'avoir permis de découvrir ce livre.
Franck est réveillé un matin au chant du coq, c'est à dire tôt, et lui de pester contre l'animal et de songer à la recette du « coq au vin ». Oui mais voilà, nous sommes dans un pays où tuer les animaux, et donc les gallinacés, est interdit par la loi. Cette interdiction va même jusqu'à les considérer comme des êtres humains, leur mort célébrée avec obsèques et décorum religieux. C'est que, trente ans plus tôt se serait déroulé au sein du Marais poitevin, un remake de l'annonciation, mais limité au monde de la basse-cour ! Croyez-le ou non, Dieu lui-même se serait réincarné en coq et aurait choisi la France pour descendre parmi nous à cause de l'emblème national, sans doute, comme si une fois n'avait pas suffi, même si ça avait un peu mal tourné il y a plus de deux mille ans! Et puis, à part l'intermède de Saint François d'Assise, il n'y a pas d'allusions aux animaux dans les évangiles. Un poussin naquit donc qu'on appela Denis (d'où le titre Dieu-Denis), dans la foulée on refit la Sainte famille, mais version poulailler, et sa mission fut donc de sauver les bêtes comme jadis Jésus sauva les hommes. Restait à se faire connaître, mais nous sommes au XXI° siècle et internet Facebook et You-tube furent sollicités par notre nouveau Messie qui réussit à recruter des apôtres pour porter sa parole, sans oublier les réseaux sociaux, le culte des sondages, les débats télévisés et la complicité flagorneuse des médias. KFC, cette firme qui fait de l'argent sur le massacre de la volaille, fut donc une cible toute trouvée, le message de la filiation divine entre les hommes et les poulets, martelé et avec lui le concept d'égalité et de cannibalisme. Comme il se doit, on nous rejoua, à la manière cocotière, le message et les épisodes évangéliques avec la mort du coq sacrifié non pas sur une croix mais sur une broche puis cuisiné et sa résurrection annoncée par e-mail ! Un tel scénario ne pouvait laisser indifférente la toujours prosélyte Église catholique qui intégra au dogme l'incarnation de Dieu en poulet et se rebaptisa « Dieudenique », avec découvertes de reliques et évolution du message religieux, dans le seul but de reconquérir des fidèles égarés.
Cette nouvelle façon de vivre les choses de la cuisine, dans notre culture largement tournée vers le culinaire, provoqua un mouvement d'idées en faveur des véganes au point que l'ordre public en a été un temps menacé, les spécificités gastronomiques régionales françaises niées, l'économie désorganisée et que les politiques, dans leur traditionnelle chasse aux voix, ne manquèrent pas de s'approprier, On revisita encore une fois la sempiternelle querelle des anciens et des modernes qui déboucha sur une révolution métaphysique juridique et écologiste ! Cette histoire un peu échevelée se termine comme dans un roman policier.
Ma culture et mon éducation ont fait que j'ai abordé ce roman comme une fable philosophique un peu loufoque, une plaisante parabole, mais peut-être pas autant que cela. J'en ai fait une lecture particulière au moment où la religion catholique est contestée à cause des graves manquements de ses ministres du culte et de leur hiérarchie. Elle a tellement mal rempli son rôle que non seulement la plupart des gens s'en détournent, que les églises se vident, que les apostasies se multiplient et, pire sans doute, qu'elle laisse la place à d'autres confessions qui, pour certaines, nous obligent à vivre dans la crainte du terrorisme religieux. Je ne parle pas du monde politique qui, à des fins électorales, est prêt à tout pour engranger des voix. Alors face à cette vie qui est de moins en moins passionnante, il faut rire de tout et pourquoi pas de la religion traditionnelle dont l'enseignement ne doit pas être bien sérieux puisqu'il n'est même pas observé par ceux-là même qui ont la charge de le faire respecter, et dont les dogmes, bien souvent ravalés au rang de « mystères », heurtent pour le moins la raison. Je l'ai donc lu comme une remise en cause du message religieux qui est surtout fondé sur la croyance aveugle dans des affirmations sans le moindre fondement logique, pour la seule raison que cette aspiration vers le sacré est inhérente à l'espèce humaine. Je n'insisterai pas sur la venue du Messie, sorte de parousie tant attendue, l’émergence d'un nouveau dieu parmi tant d'autres. Après tout, la contestation, très en vogue par les temps qui courent, peut également s'appliquer dans ce domaine. En outre, cet ouvrage, sous des dehors humoristiques, nous invite, l'air de rien, à repenser notre rapport aux animaux, ne pas les considérer comme de la nourriture potentielle, ce qui est bien dans l'air du temps actuellement, comme des objets de curiosité ou de massacres ainsi que l'occasion d'une réflexion générale sur notre société, non sans éviter ses traditionnelles contradictions et aussi sur l'espèce humaine. Avec ces quelques pas en absurdie, j'ai songé à l'univers d'Alfred Jarry à celui de Boris Vian, ou peut-être à ce qui menace notre pauvre monde !
©H.L.
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