Maquis
- Par hervegautier
- Le 10/04/2012
- Dans Alfons CERVERA
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N°564 – Avril 2012
MAQUIS – Alfons Cervera -Éditions La Fosse aux Ours.
Traduit de l'espagnol par Georges Tyras.
Ce sont en réalité de petites anecdotes racontées à la manière des gens du peuple, de ce petit village de la province de Valence après la victoire des franquistes. Là, des hommes prennent le maquis pour résister à la Guardia Civil sans pitié pour ceux qui restent, les enfants et les femmes des maquisards.
Grâce à des analepses et à différents témoignages éclatés dans le temps, les choses se révèlent, faites de souffrances, d'humiliations, d'embuscades et d'exécutions sommaires comme les affectionnaient les franquistes. C'est pour y échapper que les hommes se réfugient dans la montagne et choisissent de résister à Franco mais aussi peut-être pour venger la défaite républicaine et leurs camarades assassinés par les vainqueurs. Ils s'appellent, « Paco Haute tension » Justino Sanchez, Sébas, Nicasio, Ojos Azules, et ont été les victimes du caporal Bustamente, misérable petit chef de la Garde Civile qui fait régner la terreur dans le petit village de Los Yesares. Les circonstances font que celui-ci se croit autorisé a perpétrer des violences contre ceux qui sont restés au village pour qu'il dénoncent ceux qui l'ont quitté et qui les harcèlent. Il fait régner la terreur qui donne aux vainqueurs tous les droits, tortures, humiliations et assassinats pour affirmer leur autorité. A chaque page il y a la peur de la mort, celle des autorités chargées de maintenir l'ordre moral franquiste, le maire, le curé, les notables, le chef de la phalange, le caporal Bustamente et son arbitraire, celles des gardes qui craignent les représailles des maquisards, celle de son voisin qui peut parfaitement devenir un délateur... Une sorte de folie ordinaire s'empare de ce village perdu et oublié où le maquisard n'est qu'un nom, qu'une frêle silhouette promise à la mort ... et le combat est tellement inégal !
Ce n'est pas un roman, mais un récit, inspiré peu ou prou par l'histoire familiale de l'auteur, réalisé à petites touches avec différents témoignages d'hommes déjà morts, écrits dans un langage volontairement populaire mais aussi éminemment poétique. Il marque ainsi une phase de résistance au franquisme, entre la fin de la guerre civile et les années cinquante, période marquée par la peur, la culpabilité, l'oubli et, bien sûr, la répression, avec aussi, au début, l'espoir un peu fou des vaincus que Franco sera délogé par les alliés à la fin de le Deuxième guerre mondiale ! Face à cette lutte perdue dans le maquis, il ne reste plus aux opposants survivants qu'à s'exiler à l'étranger et tenter de résister à Franco à l'abri des frontières, en France. C'est le récit des temps difficiles de l'Espagne des vaincus persécutés par les vainqueurs
Ce travail de mémoire, qui est aussi une sorte de « devoir de mémoire » est bien résumé par cette phrase : « Il lui a parlé de la mémoire, de ce que nous sommes et ne sommes pas si nous renonçons à laisser le meilleur de nous-mêmes à ceux qui viendront après nous ». La lutte était nécessaire ne serait-ce que pour faire échec à l'oubli même si l'histoire est écrite par les vainqueurs « Dans la mémoire des gens seules restent les guerres remportées par les vainqueurs, les autres, on les oublie parce que les victoires marquent l'indignité de la défaite et que, au bout du compte c'est la vérité falsifiée, écrite par les chroniqueurs de l'oubli qui s'imposera ».
L'auteur qui n'a pas connue cette période puisqu'il est né en 1947, s'approprie cette « mémoire des vaincus » et la laisse en héritage aux générations futures, porte témoignage sur ce qu'a été cette guerre civile sanglante et sans pitié qui a bouleversé bien des consciences et préparé le chaos de la Deuxième Guerre Mondiale. « Nous ne sommes que ce que nous laissons, Sebas. Mets toi bien ça dans la crâne, juste ce que nous laissons. Une fois morts, il n'y a plus moyen de rectifier ce que nous avons été ou pas été, ni dans un sens ni dans l'autre, rien à faire, que dalle, point final ».
Alfons Cervera est journaliste, universitaire au service culturel de l'université de Valence, responsable du « Forum des débats », poète, écrivain de langue catalane. A partir de 1984, il publie « Sur les vampires et autres histoires d'amour » surtout axé sur une recherche esthétique du langage. A partir de 1990, à cause sans doute de ses origines valenciennes, il ressent le besoin d'être le témoin de « la mémoire des vaincus ». Teruel et Cuenca, qui furent le théâtre d'affrontements sanglants pendant la guerre civile ne sont pas si loin. Il inaugure ainsi un cycle romanesque avec « La couleur du crépuscule »(1995), « Maquis »(1997), « La nuit immobile »(1999), « L'ombre du ciel »(2002), « Cet hiver-là »(2005).
Cette recherche littéraire de la mémoire collective des républicains a été saluée par le critique espagnole. Cervera précise bien « Je ne recherche pas la revanche mais la mémoire des faits qui n'ont jusqu'alors été racontés que dans une version unique et intéressée des vainqueurs de la guerre ». C'est donc exercice de récupération de cette mémoire confisquée par les vainqueurs auquel ce livre Alfons Cervera... avec bonheur !
© Hervé GAUTIER - Avril 2012.
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