la feuille volante

La nuit des béguines

La Feuille Volante n° 1199

LA NUIT DES BÉGUINES - Aline Kiner – Liliana Levy

 

Le béguinage royal a été crée par Saint Louis dans le quartier du Marais pour permettre aux femmes de vivre en communauté, d'étudier, de travailler, de mendier ou de prier en dehors des règles monastiques et de l'obligation du mariage, c'est à dire de se libérer de l'autorité des hommes et du clergé. Il s'agit donc une communauté mi-laïque, mi-religieuse, sans règle, qui accueille les femmes vouées à la solitude et au veuvage, mais il n'empêche qu'au Moyen-Age, ces femmes qui ne sont ni mariées ni nonnes sont suspectes et l'accusation de sorcellerie n'est jamais loin. Nous sommes en 1310 à Paris et le roi Philippe le Bel les protège officiellement mais les difficultés économiques et monétaires du royaume déterminent le roi à intenter un procès aux Templiers, officiellement pour hérésie, mais en réalité parce qu'il lorgne sur leurs richesses. Pour cela il s'appuie sur l'Inquisition friande de tortures et de bûchers. Le roi soutient les béguines par respect pour son ancêtre, et dans cette atmosphère de violence et de suspicion mais aussi de désordres monétaires, les béguines vont devoir se battre pour défendre leur indépendance et leur liberté. Quelques années plus tard le roi leur retirera sa protection et le pape prononcera leur disparition.

Le lecteur va découvrir la vie de ces béguines à travers les yeux de Maheu, une jeune fille rousse et rebelle de la petite noblesse désargentée du Hainaut qui a fui une union arrangée et un mari brutal pour trouver refuge à Paris. Son refus du mariage autant que ses cheveux, la couleur du diable, font d'elle une proie autant qu'une marginale dans la société médiévale. Son parcours au sein de cette communauté atypique donne à voir un tissu social, un état d'esprit et des us et coutumes caractéristiques de ce temps. J'ai ressenti un certain plaisir à me retrouver au Moyen-Age, non que cette période m'attire à cause notamment de l'intolérance religieuse qui y régnait, mais les détails de la vie quotidienne qui émaillent le texte procurent au lecteur un dépaysement bienvenu avec cette déambulation dans les divers quartiers de Paris. De même, ce roman permet d'en apprendre davantage sur le béguinage, ce mouvement féministe avant l'heure, animé d'une volonté de culture, d'un profond désir de liberté et de réforme face aux tergiversations théologiques de l'époque autant que d'une ferme intention d’améliorer la société par l'éducation et les soins apportés aux jeunes filles et aux femmes. L'évocation de la pharmacopée médiévale est de ce point de vue intéressante. Il découvrira aussi la personnalité d'Ysabel, la vieille béguine qui connaît les plantes et les esprits, Ade, la lettrée, mais aussi l'ombre de Marguerite Porete, une femme d'exception, une authentique béguine mystique de Valenciennes dont l'unique livre, « Le miroir des simples âmes anéanties », écrit en langue vulgaire pour être compris de tous et non pas en latin, menaçant l'ordre religieux et donc l'ordre social, a été condamné pour hérésie et brûlé en même temps qu'elle en place de Grève. Elle y prône l'amour de Dieu et la possibilité pour chacun de s’épanouir dans la religion catholique en dehors des fastes, et de la hiérarchie de l’Église, trop engluée dans le pouvoir temporel et les richesses. Elle est la première femme a avoir été brûlée pour un livre. Son supplice en forme d'autodafé au nom de la trop facile mais très usitée accusation d'hérésie, introduit la figure un peu inquiétante et énigmatique d'un franciscain, Frère Humbert qui poursuit Maheu de ses assiduités religieuses et pas seulement parce que les béguines viennent en concurrence avec son ordre mais surtout parce la situation de Maheu ne correspond pas exactement à celle des véritables béguines.

Dans un style fluide et poétique, l'auteure décrit cette société médiévale inféodée à l’Église catholique essentiellement masculine qui lui impose ses rythmes, son hypocrisie et ses dérives. Elle mêle suspense, émotion et mystère autour d'un manuscrit disparu, fait cohabiter des personnages réels et fictifs et cet ouvrage se révèle au fil des pages un document instructif et passionnant.

© Hervé GAUTIER – Décembre 2017. [http://hervegautier.e-monsite.com]

 
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