LE RENDEZ-VOUS DE BERGEN - Alvaro MUTIS - Editions GRASSET.
- Par hervegautier
- Le 29/03/2009
- Dans Alvaro Mutis
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LE RENDEZ-VOUS DE BERGEN - Alvaro MUTIS - Editions GRASSET.
Décidément, depuis le temps que je le fréquente, par romans et traductions interposés, je l'aime bien ce Maqroll El Gaviero, "son absence de goût et de projets d'avenir" et sa prodigieuse aptitude à se mettre dans des situations inextricables qui tournent souvent au fiasco. Bourlingueur infatigable, mais toujours en perpétuelle errance, il me paraît être à la recherche des racines de son être.
A travers ce récit, et à l'occasion de ce rendez-vous donné par Sverre Jensen, un vieil ami, dans ce port de Norvège où celui-ci a décidé de mettre fin à ses jours Alvaro MUTIS se livre à l'exploration de l'âme de Maqroll et plus spécialement aux relations qu'un humain peut entretenir avec sa propre mort à venir. Nous ne sommes ici que de passage!
Malgré ses aventures rocambolesques, et pour le lecteur enchanteresses, relatées dans les romans précédents, j'ai toujours eu le sentiment que même s'il a bien souvent frôlé la mort, El Gaviero a toujours eu la volonté de faire prévaloir "les raisons de continuer à nager contre le courant». Je veux dire que même si son ami a choisi le suicide, la lecture des romans d'Alvaro MUTIS nous apprend que Maqroll a toujours lutté contre cette idée et ne s'est jamais laissé aller à son autodestruction! Pour Jensen les choses sont différentes et étonnamment simples: "J'avais accumulé quelque chose que je peux seulement définir comme la fatigue d'être vivant... Je ne supporte plus le bruit que font les vivants." C'est un peu l'occasion que chaque homme choisit de saisir pour régler ses comptes avec sa propre vie en ayant conscience de le faire librement mais avec la certitude que le destin existe et qu'on ne peut lui échapper. Ces choses-là, il est vrai s'expriment difficilement avec des mots!
Dans la deuxième relation, avec un humour au phrasé délicat, MUTIS renoue avec une habitude déjà prise par le passé (Le Dernier Visage- Editions GRASSET- Présentation La Feuille Volante n°180 Janvier 1994) de faire se rencontrer Maqroll, personnage de roman et le peintre Alejandro Obregón. Mêlant fiction et réalité, il poursuit à sa manière l'analyse de l'âme tourmentée d'El Gaviero qui est peut-être l'image de la sienne propre? Cette rencontre, pour inattendue qu'elle soit est extraordinaire et le lecteur attentif se tient constamment sur cette frontière édifiée avec des mots qui sépare l'imaginaire du réel. L'auteur tient d'ailleurs à nous rappeler les choses :"Il n'y a qu'à nous qu'il arrive des histoires pareilles!" Il est vrai qu'entendre Maqroll parler, en Français, des chats d'Istambul et de leur prescience, aux petites heures du matin à Carthagène devant un verre de rhum a quelque chose d'irréel!
Je ne sais par quel miracle une amitié sans faille naquit de cette rencontre et El Gaviero, en humaniste averti commença à s'intéresser à la peinture d'Obregón qu'il qualifia, Dieu sait pourquoi "d'angélique, mais d'ange du sixième jour de la création.". Il s'ensuivit une analyse de l'art pictural de son ami où la précision le dispute à la pertinence du propos. Cependant, ce qu'Obregón souhaite avant tout peindre c'est le vent, celui qui ne laisse aucune trace de son passage... Cela tient de la gageure!
El Gaviero, marin mythique ne peut mourir. Après nous avoir donné à penser qu'il ait pu aller "Ad Patres" dans un marigot perdu, nous le retrouvons, lors de la troisième nouvelle sur l'île de Majorque. C'est pourtant un homme tout différent que MUTIS nous donne à voir ici, un être blessé et tourmenté par la mort. Nous le savons, El Gaviero est fidèle en amitié. Elle lui fait traverser les océans sur des rafiots de fortune pour être présent auprès d'un ami qui l'a appelé sans que nous sachions très bien par quel miracle sa lettre a pu lui parvenir! Cette fidélité va bien au-delà de la mort puisqu'il respecte scrupuleusement à l'égard de ses amis disparus le "devoir de mémoire". Ici les circonstances l'amènent à prendre en charge le fils d'un ami décédé. Lui qui s'était promis de vivre sans attache voit dans ce coup du sort une manière de défi ou une épreuve supplémentaire imposée par son funeste destin. Bien sûr il l'accepte comme une sorte de paternité par procuration! C'est pour lui l'occasion de découvrir l'éveil d'un enfant à la vie, de s'attacher à ce petit être qui le lui rendra bien mais qu'il devra se résoudre à regarder partir parce que leur chemin finira par s'écarter. C'est à nouveau la mort qui est ici rappelée par l'évocation d'une séparation définitive.
C'est un Maqroll vieillissant qui nous est présenté à travers cet enfant qui pourrait bien être son petit-fils mais dont l'intrusion dans la vie de l'aventurier m'a fait penser au Petit Prince d'Antoine de Saint-Exupéry. Evoquant les déchirements que parfois nous impose la vie, c'est le thème de la mort qui est ici récurent. Elle fait certes partie de notre condition humaine mais ceux qui restent en vie après le trépas d'un être cher ont une petite idée de ce que peut être l'enfer. Même si les paroles peuvent libérer la souffrance elles ne l'exorcisent pas tout à fait!
Tenant le lecteur en haleine jusqu'au bout MUTIS qui relate ici une de ses rencontres avec El Gaviero lui-même et se livre à une analyse pointue des replis de l'âme de Maqroll et des sentiments qui peuvent y naître.
C'est bien vrai que, comme le dit Bernard Clavel, "Mutis est un enchanteur!"
© Hervé GAUTIER
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