la feuille volante

Premier sang

N°1623 - Janvier 2022

 

Premier sang – Amélie Nothomb – Albin Michel.

Prix Renaudot 2021.

 

Le titre de ce roman peut susciter nombre d’explications mais on tarde un peu à comprendre qu’il évoque, non pas le duel qui doit être interrompu « au premier sang », c’est à dire lorsque l’un des deux adversaires est touché, mais cette désagréable habitude qu’à Patrick, le personnage principal, de s’évanouir « à la vue du sang frais, coulant et vivant ». C’est une sorte de rituel involontaire qui le poursuivra toute sa vie et à l’aune duquel va se dérouler une jeunesse où il va vivre ses amitiés d’adolescent, connaître ses premiers émois amoureux, les illusions et les trahisons qui vont avec.

 

Ce livre est un hommage à son père Patrick Nothomb (1936- 2020) diplomate belge, dont le premier poste en qualité de consul de Belgique à Stanleyville en 1964 débutera une longue carrière de représentant de son pays. Séquestré avec ses compatriotes dans l’ex Congo-belge occupé par les rebelles africains de l’ « armée populaire de libération », il profitera de ses fonctions pour servir de médiateur auprès des insurgés et tenter de sauver des vies humaines et ce malgré son aversion pour le sang qui coule. Cette épreuve à laquelle ne s’attendait pas ce jeune consul a été évoquée par lui dans un livre, « Dans Stanleyville », qui retrace cette période tragique et dont notre auteure s’est inspirée. Il y parle de ce qu’il appellera plus tard le « syndrome de Stockholm » mais je retiens surtout les remarques qu’elle lui prête face au peloton d’exécution. Ces moments qui précèdent une mort certaine ont cette dimension humaine qu’est l’acceptation de son destin sans aucune révolte : admettre que son parcours s’arrête là malgré son jeune âge, qu’on n’y peut rien, qu’on a fait ce qu’on a pu, avec toute sa bonne volonté et toute sa bonne foi mais que c’est fini et qu’on accepte son sort sans regret. Il en réchappera, permettant également à de nombreux autres prisonniers européens d’avoir la vie sauve pendant cette longue prise d’otages. Sa fille choisit cet épisode de sa vie pour imaginer que l’éminence de la mort provoque chez lui une envie d’écrire, comme pour laisser une trace de son passage sur terre.

 

Je reprends l’habitude de lire Amélie Nothomb, surtout à cette époque de la rentée littéraire où elle choisit de publier son traditionnel roman annuel. Jusque là je le faisais, moins par l’intérêt que suscitaient ses livres que parce que, faisant partie du paysage littéraire, il fallait l’avoir lue pour pouvoir en parler. D’ordinaire j’étais plutôt déçu et je cherchais chaque année vainement à retrouver le plaisir que j’avais eu à la lecture de son premier roman « Stupeurs et tremblements » qui évoque sa première expérience professionnelle et personnelle dans une entreprise japonaise. Ici c’est l’histoire de son père, Patrick Nothomb, ambassadeur, décédé en à 83 ans à qui elle adresse une sorte d’adieu. Ce n’est pas un hommage mélancolique comme on pourrait s’y attendre mais au contraire un témoignage solaire, humoristique même, où, s’effaçant derrière lui, elle lui donne directement la parole. Au départ, il évoque, dans les années 40, sa jeunesse d’orphelin de père entre une mère, veuve définitive et femme du monde, des grands parents maternels aristocrates et des vacances ardemment désirées, à la fois spartiates et rurales, chez un oncle, poète et chef d’une tribu d’un autre âge qui vaut son pesant d’originalité. J’avoue avoir été conquis par le récit, ce qui me fait dire qu’Amélie Nothomb n’est jamais aussi passionnante que lorsqu’elle parle d’elle ou de sa parentèle, c’est à dire qu’elle choisit le registre intimiste.

 

J’ai apprécié le style fluide et jubilatoire qui est le sien depuis le début et qui à l’avantage de générer une lecture agréable et, comme c’est le cas ici, émouvante.

 

 

 

 
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