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la feuille volante

La prise de Makalé

N°1600 - Octobre 2021

 

La prise de Makalé – Andrea Camilleri

Traduit de l’italien par Marilène Raiola.

 

Camilleri (1925-2019) n’est pas seulement le Simenon sicilien comme on s’est plu à le nommer. Il est aussi, comme l’était également l’auteur de Maigret, un remarquable conteur et romancier traditionnel. Il s’intéresse ici au petit Michilino, six ans, très intelligent et doué d’un sexe d’homme adulte qui fait des envieux et des envieuses, qui vit à Vigatà, une bourgade imaginaire de Sicile, en 1935, c’est à dire sous de fascisme. A cette époque l’Italie était en guerre en Abyssinie, ce conflit armé étant l’instrument idéal d’un régime totalitaire. Sa famille, très favorable au pouvoir en place, lui inculque des valeurs catholiques, dans le respect du Duce et de sa politique. C’est un véritable lavage de cerveau à base de fanatisme et de culpabilité judéo-chrétienne, destiné à annihiler tout sens critique chez cet enfant, l’incitant à tuer à la baïonnette, notamment le fils d’un communiste. Cette période correspond pour le petit Michilino à la découverte du monde des adultes, plein de paradoxes, de violence, d’adultères, de vices, de tabous et d’hypocrisies, qui va connaître le viol, le mensonge, la manipulation, la propagande politique et militaire de la part de sa propre famille, des Institutions civiles et religieuses alors qu’il leur fait une confiance aveugle.(Le curé Burruano et du professeur Goergerino sont des personnages révélateurs face à l’innocence et à la crédulité de l’enfant qui peu à peu disparaît au rythme des péchés mortels ou véniels qu’il croit commettre, et la façon très personnelle qu’il a de les conjurer, tant la religion a d’emprise sur lui). Le régime politique dont ses parents sont partie prenante est évidemment coupable comme l’est le système éducatif mais aussi l’Église (le Duce est l’homme de la Providence) qui, dans la très catholique Italie s’allie, comme elle l’a toujours fait, à l’autorité, au pouvoir pour conforter son action et sa place dans la société et ce malgré des contradictions qui n’échappent pas à ce petit garçon. C’est d’autant plus inacceptable qu’elle est censée incarner une tutelle morale au nom d’un Évangile dont elle se recommande mais dont elle n’applique pas les préceptes. Cette caractéristique ressort également aujourd’hui et donne à penser que, malgré de grandes figures morales et charitables, incontestables et parfois anonymes qui l’ont honorée, elle reste une un pouvoir social et spirituel de référence mais qui a failli à sa tâche. Différentes expériences sexuelles et l’attitude compromettante des adultes entament un peu son innocence et sa dévotion autant à Mussolini qu’à Jésus mais Michilino reste un parfait petit fasciste, raciste, sanguinaire, intolérant, naïvement respectueux des préceptes religieux. Elles le font entrer de plain-pied dans ce monde inconnu qu’il ne comprend pas bien. Cela se manifeste lors de la célébration de la prise symbolique de la ville abyssine de Makalé où pour lui tout bascule. Non seulement cette mise en scène est ridiculement grotesque mais Michilino s’avère définitivement conquis par le système : il devient lui-même en même temps rebelle et un instrument de la violence, persuadé qu’il agit conformément aux idéaux fascistes et religieux qui lui ont été inculqués. Il finit par prendre conscience du jeu malsain des adultes entre eux (spécialement celui que jouent ensemble sa propre mère et le curé, son père avec sa filleule) et de celui qu’il faut tenir pour s’insérer dans une société. Il apprend à se forger une bonne conscience pour se justifier, autrement dit, il grandit. Il est juste de dire que nous avons plus ou moins tous fait ce cheminement.

C’est un roman triste et dur qui parle d’une période difficile pour ce petit garçon qui prend conscience tout seul des réalités qui régissent la société dans laquelle il sera amené à vivre, autant que du discours moralisateur du catéchisme et du gouffre qui sépare le message que lui dispensent les adultes et leur conduite. Il constate que font défaut tous ceux en qui il devrait avoir confiance, ses parents, les enseignants et les hommes d’Église, au profit d’une idéologie politique et religieuse destructrice.

L’épilogue symbolique est à la mesure de l’univers que les événements ont tissé autour du petit garçon, obsédé à la fois par les messages religieux et fanatiques qui ont gouverné sa jeune vie.

C’est sans doute le livre de Camilleri le plus boudé par la critique, non seulement parce qu’il dénonce l’attitude des adultes, l’enseignement politique et religieux qui bouleversent la naïveté d’un jeune enfant mais aussi parce qu’il correspond à une période que le pays désire effacer de sa mémoire.

 

 

 

 
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