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la feuille volante

CHANGER LA VIE

 

N°916– Juin 2015

 

CHANGER LA VIE- Antoine AudouardGallimard.

 

Le titre lui-même est tout un programme… un programme politique plus exactement. Cela sent la campagne électorale, les promesses du même nom et les désillusions qui vont avec. Mais cela c'est pour plus tard, quand la réalité s'est imposée avec ses évidences et surtout la révélation de l’incompétence de ceux qui ont mis en avant ce genre de slogan dans l'unique but d'être élus et qui se sont dépêchés de faire le contraire de ce qu'ils avaient promis, tout en faisant, au nom des réalités économiques, un bras d'honneur à ceux qui ont eu l'insouciance de voter pour eux simplement parce qu'ils les ont cru (un ancien président de la République n'a-t-il pas affirmer sans vergogne que les promesses électorales n'engageaient que ceux qui les croyaient ?). C'est facile de faire naître de l’espoir chez les plus défavorisés en leur faisant miroiter des changements dont on sait parfaitement qu'ils n'auront pas lieu puisque, même si on fait semblant de croire à la démocratie, on sait aussi que la trahison fait partie du jeu et que ceux qui sont déçus peuvent être regardés comme des « dommages collatéraux » sans grande importance.

 

Mais revenons à ce roman qui se rattache quand même un peu à ce message politique. André Garnier et François Chaban ont vingt ans, l'âge des illusions et des grands espoirs, cela tombait plutôt bien puisque nous étions en 1981 après l'élection de François Mitterrand. La fête du 10 mai avec le poing et la rose incarnait ces espoirs et c'est donc tout naturellement qu'ils y ont participé comme ils avaient milité auparavant chez les révolutionnaires, enfin ceux qui vantaient les bienfaits de la révolution permanente, même si pour eux à l'époque, elle était surtout sexuelle et pleine d'inhibitions. Pour André c'était les filles, tandis que les garçons attiraient plutôt François tout comme l'alcool, la réaction contre son milieu familial et sa vocation de haut-fonctionnaire avec Sciences-Po et l'ENA en ligne de:mire. New-York pouvait être un rêve pour André et un vaccin définitif contre le capitalisme pour François, les voilà donc partis pour cette « ville qui ne dort jamais » d'autant plus volontiers qu'ils y étaient invités et qu'ils caressaient l'espoir d'y rencontrer Bob Dylan ou Loo Reed. Ce ne fut pas exactement ce qui se produisit mais pour eux le changement s'était maintenant (air connu) et ils pouvaient légitimement se répéter à l'envi les paroles de cette chanson éponyme attachée définitivement à Liza Minneli et Franck Sinatra (« If I can make it there, I'll make it anywhere, it's up to you New-York, New York – Si je peux réussir las-bas, je peux réussir partout - Ça dépend de toi, New-York, New-York ). François y pouvait librement suivre ses penchants homosexuels malgré le SIDA et André arrivait avec son prestige de « french lover ». Il ne tarda pas à s'initier aux subtilités du base-ball et surtout a révéler un talent littéraire de « nègre » commencé quelques mois plus tôt à Paris en recueillant et rédigeant, à la demande de Logan, son nouvel employeur américain, les souvenirs de Jenny Swhartz, une résistante française et une virtuose du piano qui perdit l'usage de ses mains sous la torture des nazis. Du coup, cette petite maison d'édition qui vivotait prit, grâce à lui, un essor inattendu et tous les espoirs lui étaient désormais permis. Le charme d'André continua d'opérer puisque la vieille dame, objet de son attention, devint la confidente des bides sentimentaux de ce dernier. Je ne dévoilerai évidemment pas l'épilogue de ce roman passionnant, émouvant de nostalgie parfois et cultivé, émaillé autant de citations poétiques d'auteurs français que de références américaines (ce n'est pas incompatible) mais le temps passe et avec lui les espoirs et les illusions parce que, là comme ailleurs, ainsi va le monde et on abandonne toujours quelque chose de ses fantasmes les plus fous comme le poète l'a si justement dit (« Rien n'est jamais acquis à l'homme, ni sa force ni sa faiblesse ni son cœur... »)

 

C'est sans doute la désillusion qui, à priori, me faisait regarder ce roman d'une manière suspecte me disant que j'avais des chances d'y trouver tout ce dont j'avais été frustré par des générations d'hommes politiques aussi idéalistes que menteurs, surtout ceux qui avaient habillé leurs propos et leurs projets d'une dimension sociale pourtant vite démentie. Il serait le miroir de mon innocence coupable et je n'allais pas apprécier... Après des années de gestion conservatrice calamiteuse, l'élection d'un président socialiste ne pouvait être qu'une bonne nouvelle. Pourtant ce slogan politique prometteur devint une arnaque ordinaire, le souvenir de ce qui aurait pu être une vraie révolution mais qui ne l'a pas été. C'est vrai que, au fil des pages, je me suis mis à bien l'aimer ce Dédé, qui, au lieu de flamber comme c'est l'apanage des jeunes (et des moins jeunes aussi parfois), a, sur un mode humoristique de bon aloi, confié à son lecteur combien sa vie (sexuelle, étudiante, professionnelle de « nègre » et le reste) était synonyme d'échec. Cela m'a rappelé quelque chose, mon côté naïf, malchanceux et loser ! J’avoue que je suis entré d'emblée dans cette univers créatif et jubilatoire, dévorant avec avidité les chapitres de ce roman voué à la fois à l'apprentissage et à la désillusion. Le style est fluide et délicatement humoristique, je n'ai même pas été gêné par les barbarismes ni par l'usage du franglais et de l'américain. J'avoue n'avoir pas toujours suivi les références musicales qui parsèment ce roman mais j'ai bien aimé la présentation qui en est faite au premier chapitre.

 

Jusqu'à ce que Babelio et les éditions Gallimard m'envoient ce roman, ce dont je les remercie chaleureusement, j’ignorais tout de l’œuvre d'Antoine Audouard, je ne suis pas déçu de cette découverte qui sera sans doute suivie d'autres, je l'espère.

 

©Hervé GAUTIER – Juin 2015 - http://hervegautier.e-monsite.com

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