UN PONT D'OISEAUX
- Par hervegautier
- Le 30/08/2015
- Dans Antoine Audouard
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N°960– Août 2015
UN PONT D'OISEAUX – Antoine AUDOUARD - Gallimard.
Le titre évoque une légende vietnamienne, l’impossibilité ou l'éventualité de réunir des choses contraires, malgré la poésie de l'image et la bonne volonté, c'est un livre sur la guerre d'où la violence des batailles est cependant absente, tout juste évoquée. Plus qu'un décor, cette guerre est celle d'Indochine où sont partis se battre des volontaires qui n'avaient pas digéré l'humiliation, la honte de 1940. Il n'est pourtant question de cette guerre qu'en filigrane et on lui préfère les mots de pacification, de libération où l'hypocrisie le dispute à la rêverie, et parfois même au scandale. L'illusion est parfaitement entretenue et puis l'Indochine est si loin de la Métropole et les hommes politiques s'en désintéressent tellement !
La guerre avait un tout autre visage et Leclerc et d'Argenlieu qui avaient probablement, et chacun à sa manière, « une certaine idée de la France » n'étaient pas sur la même longueur d'ondes que Hô Chi Minh et son rêve de communisme. Les Français n’étaient pas non plus des colonialistes, mais cela y ressemblait beaucoup, quant à la guerre, ce fut Dien Bien Phu qui en fut la tragique conclusion. Quand ce modèle fut mis à l'épreuve et que les vietnamiens l'eurent éprouvé favorablement pour eux, il a été exporté en Algérie, avec le même épilogue, et la même trahison de la part de la France.
Cette période est vue à travers la vie de Pierre Garnier, engagé volontaire en 1945 pour combattre en Indochine. Son profil intellectuel fit de lui non un combattant mais le correspondant du journal des troupes françaises en Extrême-Orient puis un projectionniste pour le service cinématographique des armées. Il éprouve la même répulsion pour le colonialisme que pour le communisme. Il tombera cependant amoureux d'une vietnamienne, comment pouvait-il faire autrement dans un Orient qui exerce sur les étrangers un si irrésistible attrait ? Il lui faudra à lui aussi la défaite pour être arraché à ce pays qui n'était pas la France, même si on proclamait haut et fort le contraire. Cet homme était le père d'André Garnier, bien peu présent dans sa famille à cause de la guerre et dont la famille éclatera. Le roman s'ouvre sur ses obsèques et cette absence pesante et même insupportable suscite chez son fils une volonté farouche de le retrouver à travers cet épisode indochinois de sa vie. Il découvre la réalité de la guerre - un univers colonial à la fois fascinant, interlope et hostile, fait d'illuminés, de rêveurs prêts à mourir, mais aussi de trafiquants, d'êtres déterminés et souvent intéressés, beaucoup plus désireux de tuer en préservant leur propre vie - la beauté et la sensualité des femmes, mais surtout, à travers la personnalité des chefs combattants cette impossibilité de vivre ensemble entre Français et Vietnamiens, comme si le fait pour l’Indochine d’appartenir à « l’Empire français » était rédhibitoire dans cette quête de l'impossible entente entre deux peuples, deux pays que tout sépare malgré les apparences que les poètes ou les profiteurs aiment à entretenir. Que les Vietnamiens aspirent à leur indépendance était légitime, tout comme plus tard les Algériens, mais il y avait sans doute un autre moyen que la guerre (et pour la France la défaite) pour y parvenir. C'est, une nouvelle fois, l'illustration de l’impossibilité de concilier des volontés contraires. La réalité dépasse toujours les meilleures intentions parce que l’espèce humaine est ainsi faite et que le résultat est bien souvent le contraire que ce qu'on espérait et qu'on avait tout fait pour obtenir. Les illusions personnelles sont souvent dépassées par autre chose qu'on ne maîtrise pas. Cela marche aussi entre les gens, au niveau individuel et les relations que Pierre Garnier a avec les hommes en général n'est pas du meilleur aloi et les événements de sa vie ont fait de lui un solitaire définitif, qui voyait sans doute les choses autrement, découragé, désabusé, trahi par les événements, par les choses dont il avait rêvé.
Malgré ces fréquents analepses un peu déroutantes, j'ai bien aimé ce roman fort bien écrit, ses passages poétiques, érotiques parfois, dépaysement et la nostalgie qu'il distille, la réflexion qu'il suscite.
Hervé GAUTIER – Août 2015 - http://hervegautier.e-monsite.com
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