la feuille volante

LA MEMOIRE DU PETIT PRINCE - Jean-Pierre GUENO

N°649– Mai 2013.

LA MEMOIRE DU PETIT PRINCE - Jean-Pierre GUENO - Éditions Jacob-Duvernet

Mise en images Jérôme Pecnard.

Plus que l'écrivain-pilote, l'officier combattant mort dans des circonstances obscures, le séducteur, l'homme qui a toujours eu la nostalgie de son enfance, Antoine de Saint-Exupéry reste, dans la mémoire collective, le "Petit Prince", cet éternel enfant, héros de ce roman merveilleux qui continue de nous parler, suscite encore de bons moments de lecture, de nombreux commentaires, des citations et des développements bien des années après sa mort. Rares sont en effet les écrivains qui, une fois disparus, survivent à ce point à leur œuvre. Il n'a jamais porté l'habit vert du Quai Conti mais reste un authentique "immortel". Ce livre, traduit dans le monde entier, figure à coup sûr dans toutes les bibliothèques.

Cela me plaît bien que ce soit ce Petit Prince, habitant de l'improbable astéroïde B 612, cet enfant rieur aux cheveux d'or ébouriffés qui ne répond pas quand on l'interroge et qui un jour rencontra un pilote perdu dans le Sahara en lui demandant de lui dessiner un mouton, qui serve de fils d'Ariane au lecteur puisque son visage ouvre chacun des chapitres et qu'il raconte Saint-Ex. On dira sans doute que c'est là un livre supplémentaire consacré à Saint-Exupéry, peut-être, et après ! C'est avant tout un hommage et c'est ce que je choisis de retenir surtout parce que celui-ci puise sa sève principalement dans les citations personnelles de l'auteur tirées de ses livres ou de sa correspondance.

On pense ce qu'on veut de son enfance, mais elle conditionne la vie future d'un homme. La sienne, malgré la mort prématurée de son père, a été merveilleuse, une "planète" en dehors du temps, une sorte de cocon protecteur et douillet avec sa mère, ses frère et sœurs, une maison, une famille, autant de havres, de jalons auxquels se raccrocher. Des photos en noir et blanc ou couleur sépia attestent de cette période. Elles disent le bonheur, les odeurs, les saveurs de cette enfance qu'Antoine n'oubliera jamais. Il adorait sa mère et même loin d'elle, dans les périodes troublées de sa vie, il se raccrochera par la pensée ou par les missives à cette famille, au pays de son enfance. Lui qui était né avec le siècle n'était pas vraiment pressé d’affronter la vraie vie et voler était sans doute le moyen qu'il avait trouvé pour échapper au quotidien ordinaire des hommes ordinaires. D'ailleurs son existence n'aura de véritable sens qu'à travers l'avion. Voler reste son but pourtant dès 1923, un accident d'avion, au Bourget, l’immobilise. Plus tard, des raids d'aventurier se terminent en crashs et en fractures qui auraient pu être mortelles, que se soit au Guatemala ou en Lybie. Pourtant, il n'a pas toujours été pilote, a dû s'étioler dans un bureau comme comptable, sur les routes de France comme représentant ou comme grand reporter en URSS, à New-York, en Asie, en Espagne pendant la Guerre Civile à "L'intransigeant" ou à "Paris-Soir". De cette période, après la rupture de ses fiançailles, il s'étourdit dans les bars parisiens, s'ennuie dans des hôtels de préfecture, ou recherche la compagnie des femmes de passage. D'elles il attend qu'elles apaisent sa solitude, ses angoisses. Ce sont sa mère qu'il admire et adore, sa sœur, ses cousines, ses amantes, sa première fiancée, Louise de Vilmorin, puis sa femme, Consuelo, une jeune veuve salvadorienne qu'il épouse à 30 ans malgré la désapprobation de sa famille. Ce seront 12 années d'amour, de séparations, de ruptures, de retrouvailles. La solitude sera sera son lot pendant toutes ces années où il se cherche. Il l'exorcise comme il peut et principalement par l'écriture, des missives adressées à sa parentèle et à ses amis, des nouvelles et bientôt des romans où le pilote et l'écrivain se mêlent et se conjuguent. C'est que, grâce à l'aventure de aéropostale, il vole enfin, à travers montagnes et océans, croise Mermoz et Guillaumet avec qui il se lie d'amitié, vit enfin avec le vent, les étoiles, les sables du désert, le dangers des territoires insoumis. A cette époque, le pilote est seul aux commandes de son appareil; cela suscite pour lui la méditation sur le sens de la vie, de la mort, de l'immensité des territoires survolés et la solitude, toujours, qu'il ressent dans les montagnes glacées ou l'aridité du désert, le danger aussi qu'il voit dans les accidents et la mort de ses amis...C'est cette même action qu'il retrouve pendant la 2°guerre mondiale. Et il écrit tout cela. Ce sera "Courrier sud"(1929), "Vol de Nuit"(1931) pour lequel il obtiendra le Prix Femina, "Terre des hommes" (1939- Grand prix du roman de l'Académie Française). Pourtant, cette complicité avec les grands espaces et l'ivresse du vol ne font qu'accentuer chez lui la sensation désespérante de solitude qui semble lui coller à la peau. Seuls les mots, leur musique et l'exorcisme de l'écriture parvient à l'en sortir.

Parti pour New-York, dans l'espoir de susciter l'entrée en guerre des États-Unis, il y reste deux ans. Il est las-bas un auteur à succès mais son pays est occupé. Il rejoint l'Afrique du Nord. Ce sera "Pilote de guerre" (1942) et "Le Petit Prince"(1943). Lui qui avait cent motifs de réforme, revient pour défendre son pays, lui qui avait si souvent côtoyé la mort, dans sa famille proche, dans son métier de pilote, dans le cercle de ses amis, abandonne son corps à la mer, au néant, comme le Petit Prince qui s'en va ["J'aurais l'air d'être mort et ce ne sera pas vrai"] . On a beaucoup glosé sur sa disparition, en Méditerranée, au large de la Provence, en juillet 1944, au terme d'une mission photographique après qu'il eut, une ultime fois, survolé la maison de son enfance et ses souvenirs. C'est un peu comme si la solitude et la désespérance le rejoignaient, définitivement.

J'aime lire et relire Saint-Ex, un écrivain d'exception qui a honoré la langue française, un homme torturé par un mal de vivre et le désespoir, qui était de son enfance comme on est d'un pays, qui en a porté en lui toute la magie, tous les mystères.

© Hervé GAUTIER - Mai 2013 -

Sur l'avion de Saint-Ex, voir la Feuille Volante n°225 - Mai 2000.









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