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la feuille volante

VOL DE NUIT

N°997– Décembre 2015

 

VOL DE NUIT Antoine de Saint-ExupéryGallimard.

 

En octobre 1929, Saint-Exupéry est nommé directeur d'exploitation de la compagnie « Aeroposta Argentina », filiale de l'ancienne compagnie Latécoère à Buenos Aires. Il doit à ce titre organiser le réseau dans l'Amérique du sud en attendant les liaisons transatlantiques avec Dakar. Didier Daurat, le patron, avait, dès 1928 décidé que les avions voleraient la nuit pour conforter l'avance gagnée dans la journée sur les bateaux et les trains. Ainsi, le service nocturne doit-il être poursuivi coûte que coûte même s'il comporte des risques. Ce roman se nourrira de cette expérience.

 

L'auteur met en scène Rivière, le chef d'escale qui fait exécuter ses ordres sans considération pour la mort d'un pilote, pour un cyclone qui menace et qui se montre intransigeant en licenciant un vieux mécanicien pour une faute vénielle. Ce qui compte c'est la rapidité, la rentabilité [« C'est pour nous une question de vie ou de mort... »]. La mission doit prévaloir sur les hommes, l’acheminement du courrier est sacré et ce devoir transcende ceux qui l'accomplissent [« Il s'agit de les rendre éternels »]. Il n'admet ni la faiblesse ni la défaillance même si au fond il aime ceux qu'il commande. Rivière est plus qu'un directeur d'escale, c'est un chef au sens militaire du terme qui motive les hommes qui travaillent sous son autorité, sous sa responsabilité. Pour lui le bonheur de l'homme réside dans l’acceptation du devoir. Dans son opinion son métier est une sorte de sacerdoce et il considère sa fonction comme celle qui consiste à leur insuffler un idéal alors que pour eux, pilote pouvait seulement être un métier. Dès lors, le roman, c'est à dire l'histoire racontée au lecteur, passe-t-elle au second plan au profit de l'étude de caractère. Rivière ressemble-t-il à Didier Daurat à qui ce livre est dédié ou révèle-t-il l'idée que se fait Saint-Exupéry de l'homme et de son devoir ? Pour lui l'action doit prendre le pas sur les personnes avec leurs préoccupations et la véritable liberté est en réalité l'acceptation librement consentie du règlement qui « est semblable aux rites d'une religion qui semblent absurdes mais façonnent les hommes ». Rivière se révèle un entraîneur d'hommes, quelqu'un qui est capable d'inviter ses pilotes à se surpasser. Il reste le directeur face à tous et seul en charge de l’acheminement du courrier. Quand une mission est réussie, il est satisfait mais ne le montre pas et sait rester froid face à l'épouse de Fabien, le pilote disparu de « La Patagonie ». Lui, même s'il est ému par cette disparition, reste inflexible, incarne l'autorité tandis que cette femme, cette jeune mariée qui portait en elle l'espoir, l'amour et le bonheur est maintenant une veuve désemparée dont la beauté ne pèse rien face à la mort de son mari.

 

Ce qui est célébré ici, c'est aussi l'aventure, le courage, avec son lot de risques, de responsabilités et avec en point de mire le sérieux du devoir accompli. Il est cependant possible de s'interroger sur le bien-fondé de toute cela, de se demander si la vie humaine n'est pas plus importante que tout. Rivière lui-même, idéaliste et même un peu surréaliste, s'interroge, ouvre un débat intimiste et conclue pour lui-même d'une manière existentielle «  Le but peut-être ne justifie rien, mais l'action délivre de la mort ». Saint-Saint-Exupéry, dans un exemple révélateur, en présence d'un accident survenu à un ouvrier sur un chantier, se demande si un visage écrasé vaut qu'on bâtisse un pont et qu'ainsi la circulation soit facilitée. Sa mort énigmatique peut parfaitement s'expliquer dans cette simple phrase. Dès lors toute la vie d'un homme, qui n'est finalement qu'un bref passage sur terre, trouve-t-elle sa signification non pas tant dans un but poursuivi mais dans la démarche entreprise, pour peu qu'elle soit sérieuse parce que, simplement, elle lui permet non pas d'éviter la mort, ce qui est humainement impossible, mais d'imprimer sa marque dans ce monde et d'y laisser une trace pérenne et exemplaire.

 

Le Style est simple, direct dans fioritures, poétique dans les descriptions, lyrique dans les méditations. Est-ce l'appréciation laudative d'André Gide dans la préface qu'il fit de ce roman court ou est-ce cette évocation magistrale de l'aventure humaine authentique qui ont séduit les dames du Jury Fémina qui lui ont décerné leur prix en 1931 ? L’œuvre d'Antoine de Saint-Exupéry est indissociable de sa vie, ses expériences d'homme, d’humaniste et l’idéal qu'il portait en lui transparaissent dans ses livres.

 

 

Hervé GAUTIER – Décembre 2015 - http://hervegautier.e-monsite.com

 
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