Les incendiés
- Par hervegautier
- Le 04/04/2017
- Dans Antonio Moresco
- 0 commentaire
La Feuille Volante n° 1120
Les incendiés – Antonio Moresco – Éditions Verdier.
Traduit de l'italien par Laurent Lombard.
Dès la première ligne, le ton est donné : le pessimisme face au monde absurde dans lequel le narrateur dont nous ne saurons rien sauf qu'il a été soldat et qu'il circule armé, tente d'exister. Il dénonce l'absence d'amour, l’inexistence de la liberté, la prédominance du mensonge entre les hommes et les femmes, la réalité de la mort, son échec personnel. Ayant ainsi pris conscience de la déliquescence générale, il s'est naturellement coupé de ce monde « foutu » qu'il quitte et la solitude volontaire qui en résulte le plonge dans un abîme de réflexions délétères. C'est la période des grandes migrations vacancières et il décide lui aussi de quitter la ville, de rejoindre le bord de la mer où les corps à demi dénudés des femmes offerts à sa vue font naître en lui des fantasmes très forts. L'hôtel où il réside s'enflamme et, réfugié sur une falaise hors de portée du brasier il rencontre une femme, slave, blonde aux dents d'or qui lui avoue avoir mis le feu pour lui, puis, comme une vision, elle disparaît. Elle ne reviendra que dans son rêve, un peu comme si elle évoquait à elle seule toutes celles qu'il avait croisées ou étreintes, comme si elle devenait obsédante, envoûtante même. Les termes sont intensément érotiques et sa solitude volontaire est souvent troublée par la vue d'une femme, la même que celle de l’incendie. Il se souvient des passantes qu'il a simplement aperçues, des détails de leur visage et de leur corps, parle de l'émoi qu'elles ont suscité. L'image du feu est associée à la passion amoureuse et l'épilogue « flamboyant » vient conforter cette impression, mais aussi à l'acte sexuel évoqué avec force détails pornographiques voire scatologiques et lié à l'or de la denture comme un symbole impossible à atteindre. Il y a en permanence ce mélange d'émotions subtiles et d'évocations crues, un peu comme si le narrateur, dégoûté de cette vie, se réfugiait dans le rêve et dans ses souvenirs. Dans les images de cette femme qu'il rencontre physiquement ensuite, il y a cette notion de dépaysement, d'éphémères rencontres, cette douceur et cette violence dans l'étreinte, ce mystère et cet esclavage qui les entourent, dans une sorte de halo fugace où se conjuguent recherches et découvertes, quête effrénée de cette compagne face à la fragilité de la vie, faiblesse de l'enfant et maturité de l'adulte, obsession du corps féminin et de l'amour bestial et délirant, conçus sans doute comme une addiction pour échapper à l'absurde de l’existence et aussi à la mort. Il se souvient alors de la vision nocturne d'un couple enlacé mais dont l'homme menaçait sa partenaire d'un pistolet, une arme létale qui va revenir dans le texte, une histoire de femme tellement mystérieuse qu'on se demande si tout cela n'appartient pas au rêve !
Tout au long de ce roman déjanté et gore, j'ai ressenti un réel malaise entre la poursuite de cette femme belle et désirable, comme un fantôme énigmatique dont la sensualité n'a d'égal que sa volonté de tuer, le besoin d'amour de cet homme désespéré mais présenté comme irrésistible, ces corps féminins désirables, cette violence aveugle et maffieuse, cette luxure distillée à chaque page dans une atmosphère d'esclavage, de soumission, de crainte et de destruction définitive de cette société à laquelle le narrateur et sa compagne n'échappent que sous la forme de morts-vivants. Pourtant, telle n'avait pas été mon impression lors d'une rencontre avec Antonio Moresco et Laurent Lombard, l'auteur ayant eu des propos apaisés avec une image presque effacée. Le cheminement du narrateur avec sa compagne parmi les morts qui ne le sont pas tout à fait, n'est par ailleurs pas sans évoquer la descente de Dante aux enfers. Devant les frustrations sexuelles et l'obsession de la mort de l'auteur à travers d’improbables combats meurtriers de vivants contre des morts, j'ai été partagé entre la sincérité de la confession de son érotomanie et sa fascination pour une certaine violence armée, je me suis interrogé sur l'exorcisme de l'écriture, le refoulement et la culpabilisation. J'ai pensé que ce parti-pris de rejet était peut-être lié à son parcours personnel et littéraire difficile et tortueux, entre séminariste, ouvrier prolétaire et activiste politique. Même si l'épilogue vient donner un certain espoir en forme de conclusion à ce roman dérangeant et peut-être une réponse à ses interrogations et à ses angoisses, je n'ai que très peu goûté son style cru et le déroulement déconcertant de cette fiction, même si, par certains côtés, je suis moi aussi admirateur de la beauté des femmes et que je déplore, de plus en plus cette société sans repère ni boussole qui est la nôtre, surtout actuellement.
Je suis peut-être passé à côté de quelque chose qui par moments a des connotations épiques mais surtout apocalyptiques et orgiaques et à d'autres périodes présente des côtés étrangement oniriques, entre désespoir et obsession, violence, destruction et amour fou, le tout aux marches de la réalité. Je n'ai peut-être rien compris à ce récit tressé avec une une prose narrative allégorique et fantastique, élément d'un triptyque romanesque que l'auteur lui-même présente comme le mouvement d'une symphonie. L'auteur a pourtant fait l'objet d'un colloque en Sorbonne en 2015 et est considéré comme un grand écrivain italien. J'ai en tout cas eu une pensée pour le traducteur de ces textes et la difficulté qu'il a pu avoir entre « traduction et trahison » [« dradure-tradire » comme le disent si bien nos amis Italiens].
C'est ma deuxième approche de l’œuvre de Moresco qui fait suite à « Fable d'amour » (La Feuille Volante n°993) et qui m'a laissé quelque peu dubitatif.
© Hervé GAUTIER – Mars 2017. [http://hervegautier.e-monsite.com]
Ajouter un commentaire