la feuille volante

Le jeu de l'envers

N°1661- Août 2022

 

Le jeu de l’envers - Antonio Tabucchi – Christian Bourgois éditeur.

Traduit de l’italien par Lise Chapuis.

 

Il s’agit de onze nouvelles dont la première d’entre elles donne son titre au recueil.

L’auteur dans une note préliminaire confesse son interrogation à propos de la naissance des livres qu’il écrit où l’imaginaire, l’autobiographie et les histoires racontées par d’autres se conjuguent pour donner un texte dont l’originalité résulte de sa façon personnelle de l’écrire. Il précise aussi que si les choses ainsi décrites par ses soins portent indubitablement sa marque, c’est à dire sa culture, ses connaissances, son talent, elles pourraient parfaitement être différentes, c’est à dire être à l’envers de ce qu’on lit, comme sont le verlans, les anagrammes ou des palindromes par rapport aux mots, l’envers de la médaille par rapport à l’avers, les jeux de mots si prisés des enfants, en un mot une autre facette des choses, Cette prise de conscience fut pour lui une découverte troublante, une peur aussi en ce sens qu’il ne s’expliquait pas comment pouvait exister une histoire racontée par lui avec un épilogue prévu à l’avance et que le résultat de cette dernière puisse être différent une fois le travail achevé. Un texte original est le reflet de l’âme de celui qui l’écrit au moment où il le fait, mais pourrait parfaitement être différent à un autre moment et ce malgré toutes les esquisses et les corrections inévitables. C’est le privilège de l’auteur que de s’inventer volontairement une autre vie que la sienne et de la faire exister le temps d’un récit. Il m‘a toujours semblé en effet que l’écriture est une subtile alchimie qui permet de modifier les choses en fonction du moment de leur création, mais aussi que les décors, les circonstances, les personnages, peuvent également entraîner l’écrivain sur un terrain inconnu de lui au départ mais qui l’étonnent, s’imposent finalement à lui sans qu’il y puisse rien et génèrent une peur sourde et révélatrice qu’il veut pourtant combattre parce qu’elle vit dans les mots ainsi confiés à la feuille blanche. Que cette première nouvelle ait, comme il le dit lui-même, des résonances autobiographiques n’est pas étonnant, ce pourrait-il d’ailleurs qu’il en fût autrement puisqu’elle vaut sûrement pour tout ce qu’il a écrit (Ce texte paraît être écrit en 1978 alors que son auteur a trente cinq ans). Qu’il le précise et l’illustre à propos de ce texte dit assez l’ importance pour lui et cette prise de conscience qu’il lie d’ailleurs à la mort de son amie, marque un jalon dans sa créativité. Qu’il ait été passionné par l’œuvre de Fernando Pessoa qui créa et fit vivre de nombreux hétéronymes, me paraît aller dans le même sens.

Les autres nouvelles de ce recueil sont l’illustration de ce concept comme le sont d’ailleurs toutes les œuvres d’art qui ne sont pas seulement de simples représentations mais le reflet de l’âme de leur auteur à un moment précis. Elles sont soit le fruit de l’inspiration personnelle, ce qui est aussi un sujet d‘étude intéressant, soit l’écho de ce qu’il a entendu ou lu mais cette certitude que l’épilogue qu’il choisit d’écrire puisse être fondamentalement différent de celui qu’il imaginait au départ est également à mes yeux un sujet de réflexion.

Tabucchi est un écrivain intéressant notamment dans son parcours. Italien d’origine, on l’imagine jovial mais il a adopté le Portugal comme seconde patrie et sans doute aussi l’âme portugaise caractérisée par la saudade, cette mélancolie liée à ce pays et à ses habitants. De ses nouvelles, et particulièrement celle intitulée « Petit Gatsby », il ressort une sorte d’ambiance un peu amère, emprunte de tristesse et de solitude, comme sa vie sans doute.

 

 
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