Pour te voir cinq minutes encore
- Par hervegautier
- Le 05/02/2019
- Dans Aurélie Le Floch
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La Feuille Volante n° 1321
Pour te voir cinq minutes encore – Aurélie Le Floch – Éditions « les ateliers Henry Dougier ».
Tout d'abord je remercie les éditions « Les ateliers Henry Dougier » de m'avoir fait parvenir directement cet ouvrage.
On a beau philosopher sur la mort, parler de la condition humaine, de la brièveté et de la fragilité de la vie, quand elle frappe les proches qu'on a aimés, c'est le vide, le deuil, le sentiment d'injustice. On se sent abandonné de tous, même si bien des gens se pressent autour du cercueil par sympathie ou par convenances et tentent de trouver les mots pour réconforter ceux qui restent. Bientôt, pour eux, l'oubli s'installera parce que la nature humaine est ainsi faite. Il y a peut-être des prises de parole ou peut-être rien, mais chacun, dans son for intérieur, évoque sans la nommer la maladie, le gâchis de mourir à trente-six ans quand on a la vie devant soi et une fille à chérir, la révolte... La cérémonie achevée, la narratrice se retrouve seule avec son chagrin, ses larmes, sa peine. Elle l'évoque avec des mots simples, parce qu'ils ne peuvent être que simples. A l'époque, elle a quinze ans et son père vient de mourir en ce mois de janvier 1994. Pour elle le temps s'est arrêté.
Beaucoup de choses se bousculent dans sa tête à propos de ses parents, des souvenirs, des amours, des épisodes d'une vie qui s'arrête là, des projets qui ne verront jamais leur réalisation alors, pour rendre hommage à cet homme, pour que son souvenir ne se perde pas pour les générations à venir, on sent la nécessité de faire quelque chose, un acte de mémoire, on fixe avec des mots l'histoire de celui qui vient de disparaître, on écrit, même si c'est longtemps après, même si cela peut paraître dérisoire. C'est donc ce que fait Aurélie le Floch dans ce premier ouvrage biographique, rédigé à la première personne. Il lui faut remonter le temps, interroger les proches et les anciens, découvrir et parfois accepter une généalogie compliquée et longtemps cachée, parfois pleine de surprises. De ses parents elle évoque les moments de révolte, de joie quand ils étaient amoureux, ce temps qu'ils auraient voulu voir durer toujours. Leur histoire aurait dû être une belle histoire, mais la vie reprend ses droits, les passions la bouleverse. A l'époque on commençait à divorcer facilement et c'est ce qu'ils ont fait; comme c'est toujours le cas, ce sont les enfants qui en font les frais. Elle a été confiée à sa mère qu'elle n'aime pas et qui multiplie les amants de passage, ne voit son père qu'au rythme du traditionnel « droit de visite », deux mondes qui désormais ne se rencontreront plus. Elle est tiraillée entre l'univers triste et glacé de sa mère et celui de son père associé au travail, à la réussite sociale mais aussi au soleil, à la mer, aux vacances. Elle grandit, s'étonne, se pose des questions sur ce qu'elle voit, sur les amis de son père, un univers essentiellement masculin, sur leurs relations cachées...
Elle l'aimait très fort ce père, l'idéalisait même et dans sa tête il ne pouvait rien lui arriver. Pourtant malgré son jeune âge, malgré la volonté de cet homme et de son entourage de lui cacher son mal, elle entend des mots nouveaux, « système immunitaire défaillant », « séropositivité », « sida », cette maladie venue d'ailleurs, un acronyme, le VIH, et les morts qui se multiplient sans que la médecin y puisse rien. Malgré le sourire fragile de cet homme, l'inévitable n'était pas loin.
Plus tard viendront les différentes facettes du travail de deuil, le rapprochement avec Dieu dont on se demande à quoi il sert vraiment dans ces circonstances, les tentatives de résilience, la prière pour ceux qui croient à son pouvoir, le temps qui passe et qui est censé cautériser ce genre de plaie, même s'il n'en est rien, la difficile réalité qui est celle de l'absence définitive des morts. Reste la mémoire confiée aux mots, le souvenir dont se chargent certains vivants le temps de leur vie, le rituel de la Toussaint qui une fois l'an refleurit les tombes, les larmes et le chagrin qui vous font voir la vie autrement, parce que les morts ne le sont vraiment que lorsque les vivants ne pensent plus à eux.
Aurélie Le Floch nous livre ici un récit authentique et bouleversant que, pour des raisons personnelles j'ai lu avec émotion, même si les circonstances pour moi sont bien différentes. La mort fait partie de la vie, en est simplement la fin, elle nous frappe et c'est toujours une épreuve d'autant plus dure que nous vivons en occident comme si elle n'existait pas. Tout au long de ma lecture, j'ai associé ce texte, sans trop savoir pourquoi, à la voix chaude de Jean Ferrat disant à son père qu'il « aurait pu vivre encore un peu ».
Je ne connaissais pas cette collection « une vie, une voix » ni son slogan auquel je souscris « Des vies ordinaires, des voix singulières dessinent notre patrimoine sensible, notre mémoire est commune . Ces récits sont réels. Ces histoires sont la nôtre ». Elle était ordinaire la vie de cet homme, mais elle était aussi unique.
©Hervé GAUTIER – Février 2019. http://hervegautier.e-monsite.com
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